mardi 27 décembre 2011

Hommage à Revel

Le retour vers l'agence de location, l'aéroport et la France ne sont qu'anecdote. Nous avons beaucoup dépensé à San Francisco pour un résultat mitigé. La ville est beaucoup plus jolie que Los Angeles, et les manifestations excentriques que nous avons cru y découvrir ne sont après tout que l'expression d'une tolérance chère à la nation américaine. Mais la ville n'est pas sympathique pour autant. Nous avons la déplaisante impression de ne pas être à notre place ici. Serions-nous trop imbus de notre vieille Europe ?

Il est vrai que nous n'avons pas eu le temps de nous habituer à cette cité ; il est tout aussi manifeste qu'elle n'a pas su en retour nous séduire au premier regard. Je compare à une autre grande ville de liberté, Amsterdam, qui nous avait enchantés de l’instant même où nous y avions mis les pieds. Pourquoi Amsterdam et pas San Francisco ? Comment se fait-il que la métropole californienne provoque chez nous ce malaise ténu ? Nous n'avons pas la réponse.

On ne peut nier que le nombre d'indigents (oui, j’évite d’employer l’affreux sigle en trois lettres à la mode chez nous depuis trois ou quatre lustres) surprend dans la ville américaine. Encore faut-il savoir distinguer les clochards des citoyens habillés de chiffons ou d'oripeaux peu conformistes parce qu'ils en ont fait le choix. Bien malin qui saurait distinguer les uns des autres d’un simple coup d’œil. Mais il y a un réel problème de misère et de violence ici. Tous les guides mentionnent des quartiers à éviter le soir tombé. Le Routard explique pourquoi l’on trouve tant de homeless à San Francisco : les refuges et autres centres de soins spécialisés ont été fermés par un ancien gouverneur de Californie appelé Ronald Reagan, jetant dans la rue une population désemparée.

Voilà une tare de plus pour un homme politique que nous avons pris la coutume de considérer comme une sorte d’handicapé mental léger, un cow-boy d’opérette ajoutant la malfaisance à l’inculture. Les Américains, eux, le prennent pour l’un de leurs meilleurs présidents. Qui a raison ? Poser le débat est difficile. Il est délicat en France de faire admettre que la politique reaganienne n’a pas été que désastreuse. Elle aurait même, paraît-il, donné quelques résultats positifs.

L’explication du Routard sur les homeless de San Francisco semble bien légère, étant donné que Reagan a cessé d’être gouverneur de Californie en 1975. Cela fait près de quatre décennies. Que dirions-nous d’un guide touristique en langue anglaise qui, en pointant le nombre de sans-abris à Paris, désignerait sans ambages Michel Durafour, ministre du travail sous Valéry Giscard d’Estaing, comme responsable de cette situation ? Je ne prétends pas exonérer les hommes politiques de leurs responsabilités, je cherche simplement à souligner un réflexe qui désigne sans coup férir un coupable selon des a priori. Car enfin, que s’est-il passé à San Francisco de 1975 à aujourd’hui pour que la misère continue à y prospérer à ce point ? La vérité est que l’on dénombre depuis cette date autant de Démocrates que de Républicains au poste de gouverneur de l’Etat. Il faudrait donc être bien peu exigeant pour se contenter de la réponse toute faite « Reagan libéral, donc Reagan coupable ». D’une façon plus générale, je pense qu’un certain anti-américanisme ordinaire oriente notre façon de comprendre ce pays.

J’avance une expérience personnelle. Quelques jours avant le voyage, je consulte mon médecin généraliste pour garnir la traditionnelle trousse à pharmacie. En me tendant l’ordonnance, la jeune praticienne ajoute d’un air entendu : « vous la laisserez dans vos bagages à côté de vos médicaments, sinon ils peuvent vous faire des problèmes au contrôle. Vous savez, hein, les Américains… » Elle me regarde avec un sourire entendu tout en levant les yeux au ciel. J’ai pourtant dans l’idée que le contrôle des substances transportées n’est pas absolument déraisonnable de la part d’un pays soumis avec constance aux assauts terroristes. Mais je ne vais pas me lancer maintenant dans une pénible argumentation. Je sais combien il est difficile de remettre en cause des habitudes tenaces. Je me souviens de ma propre affliction à la première lecture en 2003 de l’Obsession anti-américaine de Jean-François Revel. Quand je repris ce livre quelques mois ensuite pour l’examiner de plus près, je commençais à mesurer la valeur ses arguments tout en savourant mieux son style féroce, pétri de références culturelles et historiques. Après une troisième lecture, je rendis les armes, vaincu. Je pris ce jour-là la décision de lire tout Revel, un projet réalisé depuis lors avec enthousiasme. Tout en me remémorant cet épisode, je tends la main pour récupérer l’ordonnance. Le docteur continue à sourire et je sacrifie alors à la contrepartie traditionnelle de son invite, en baissant les paupières dans un mouvement d’épaules complice. Je ne suis pas fier de cette petite lâcheté, mais il est des sujets sur lesquels il est préférable de passer l’éponge – à moins de vouloir animer, disons, une soirée de réveillon trop terne.

Dans le même ordre d’idées, un ami très cher, informaticien de talent et de solide culture scientifique, veut me faire partager son hilarité au sujet de Sarah Palin pour qui les hommes auraient côtoyé les dinosaures. En riant avec lui, je me demande s’il faut lui faire remarquer que ses propres croyances en un être divin faiseur de miracles, auquel il souscrit dur comme fer, sont respectables au même point que celles de madame Palin.

Moi qui examine ces idées de l’extérieur, je considère qu’elles procèdent d’une même volonté de croire, et non pas de savoir. D’une part l’opinion, d’autre part la connaissance. Et le fait qu’une opinion soit la plus respectable du monde ne lui octroie pas une once de véracité pour autant.

L’un de mes collègues de bureau se met à pouffer : il vient de lire qu’une forte proportion d’Américains croit aux fantômes. Pourtant, lui-même ne passe pas une seule journée de son existence sans consulter l’horoscope. Le choix est vaste, notre presse nationale ne se privant pas d’inonder ses lecteurs d’interprétations du zodiaque et de thèmes astraux, sans que cela ne semble soulever de sous-entendus goguenards sur notre crédulité. Celui qui croit aux fantômes est-il moins lucide que celui qui s’imagine déceler « les grandes lignes de son avenir » dans l’œuvre complète d’Elisabeth Teissier ?

Les pratiques de la foi, au sens large du terme, ne semblent pas beaucoup moins vivaces dans notre pays qu’aux États-Unis. Nous n’avons pas la conscience nette des crédos que nous appliquons, par conviction, mimétisme ou paresse intellectuelle, dans notre vie de tous les jours. Il suffit pourtant de consulter les rayonnages consacrés aux anges gardiens, à la divination par les runes ou à l’homéopathie dans n’importe quelle librairie d’importance moyenne. Faut-il voir dans cette profusion l’indice d’une lucidité exacerbée dont nous, Français, pourrions faire la publicité aux autres nations ?

Ce sont là des croyances inoffensives, dira-t-on. Sans doute. Mais celle du redneck pour qui le soleil tourne autour de la Terre l’est tout autant.

mercredi 2 novembre 2011

American Virago

Pendant nos flâneries à San Francisco nous laissons la Jeep dans un parking de la rue Bush. Le jour où je vais confier la voiture aux bons soins des employés du garage, je ne trouve personne pour m’accueillir. Patience. Je commence à méditer sur l’impression que me fait cette ville quand un gars surgit on ne sait d’où et me dit tout de go : « Gimme your kiss. »

Bon, je sais bien qu’on est à Frisco et que les relations entre adultes peuvent prendre ici des aspects inhabituels, sans même parler de la réputation gaiement sulfureuse de la cité.

En dépit de cela, l’interjection si directe de mon interlocuteur me prend de court. Mes neurones en mode panique raniment au fond de ma mémoire de lointains souvenirs d’anglais scolaire.

« I beg your pardon ? » articulent mes lèvres sur le ton surpris et un peu hautain que donne l’accent d’Oxford.

« Your kiss ! Give me you kiss ! » répond l’autre en s’animant. Du doigt, il pointe carrément quelque chose au niveau de ma ceinture. Alors que mon esprit élabore les pires scénarios, je me rends compte qu’il en veut aux clefs de la voiture. « Aaah, my keys ! » soufflè-je dans un intense soulagement, tout en insistant sur le z final si important aux oreilles de mes profs d’autrefois. Je lui tends le porte-clefs. « Yes, your kiss », répond le gars en s’emparant de l’objet. Dans son for intérieur il doit maudire ces tocards d’étrangers. A moins que je ne sois tombé sur un zozoteur.

Nous ressortons la voiture pour emprunter le Golden Gate Bridge. De l'autre côté se trouve un monument où de nombreux visiteurs ont eu la même idée originale que nous. Il est vrai que la vue de cette arche légendaire aux cimes embrumées mérite tous les éloges.

Pour notre dernier jour à San Francisco et en Amérique nous allons déjeuner dans le plus célèbre restaurant de pizzas de la région. Tony's Pizza Napoletana, avec son nom sorti d'un nanar italien des années 70, attire tous les amateurs de ce genre gastronomique. Et tous les amateurs, cela fait beaucoup de monde : nous découvrons une file d'attente de plusieurs heures. Impensable, sous peine de rater le vol.

Notre plan B se nomme L'Osteria Del Forno, sur la Columbus Avenue. Nous sommes accueillis par une serveuse aux traits sévères. Elle nous désigne en haussant les épaules une table, puis vient noter notre commande d'un air consterné. Son attitude de matrone mal embouchée veut-elle crier à la face du monde le profond désintérêt que lui inspire son métier ? Les plats nous sont presque jetés dans un geste désinvolte.

Je me demande si nous ne sommes pas entrés, à notre insu, dans une annexe de ce fameux restaurant de Las Vegas où l'on paye pour se faire engueuler.

Mais nous tenons notre vengeance. En Amérique, le pourboire est libre. Voilà une arme formidable entre les mains des clients puisque le tips représente l'unique rémunération des employés de restauration. L'usage recommande d'ajouter à l'addition une somme allant de 15 à 20 pour cent de la note. Nous y avons toujours veillé avec scrupule, en pourfendeurs émérites de la réputation radine des Français. Nos savants calculs sur pourcentages et arrondis ont toujours privilégié la fourchette haute pour ne pas risquer de léser le serveur en cas de doute.

Nous tenons notre revanche aujourd'hui. Je me délecte par avance de ma force de frappe consumériste. Pour la première fois, je m'apprête à payer la note brute. Cette American virago n'aura pas mon pourboire.

Las, les deux sorcières qui tiennent le lieu ont pensé à tout. Selon la détestable coutume hexagonale, le service est déjà inclus dans l'addition. Nous ignorions que cela était possible dans ce pays. Impossible de retrancher quoi que ce soit. Nous sommes faits et défaits. Le cash si injustement mérité est aussitôt empoché par la mégère triomphante, qui nous congédie d'un coup de menton sec.

samedi 15 octobre 2011

En mer

Tôt levés, nous faisons la queue pour prendre le cable car au terminus de Powell. La file d’attente est déjà longue. A en juger par le nombre d’appareils photo en bandoulière et la quantité d’individus plongés dans le déchiffrage d’un guide de la ville, il n’y a pour ainsi dire que des touristes, tout comme nous. L’engin arrive dans un sympathique brinquebalement et s’immobilise sur une plaque tournante actionnée à la force des bras, comme aux temps des pionniers. Remise dans le bon sens, la voiture accueille les voyageurs. La montée se fait dans le calme, le conducteur est là pour veiller à ce que tout se passe dans une atmosphère courtoise.

Une fois à bord nous observons avec quelle attention le gripman bascule son levier pour rendre le wagon solidaire du câble en perpétuelle marche caché sous la chaussée. Je comprends un peu mieux pourquoi il est si primordial ici de ne pas encombrer les intersections. Un tramway sans moteur ne doit pas avoir une immense liberté de manœuvre. Je me demande même s’il est capable de reculer. Toujours est-il que le véhicule est très évocateur de l’âge d’or franciscain, même s’il ne s’agit que d’une réplique moderne des voitures originales.

Dès l’arrivée à Fisherman’s Wharf nous découvrons une queue déjà conséquente pour le retour. Si tôt le matin, deux heures d’attente pour reprendre le cable car et revenir au centre ! Nous restons dans le coin pour visiter le quai des pêcheurs. Le nom du quartier est trompeur. Nul loup de mer en ciré jaune tirant sur sa bouffarde dans les parages. En revanche, boutiques à gadgets et fringues « I cœur SF » à perte de vue écrasent de leur talon de fer le souvenir de Jack London.

Nous nous laissons séduire par un rabatteur pour une visite en bateau de la baie. Ces gens-là ont le don de vous vendre leur truc en vous faisant passer pour des bienfaiteurs de l’humanité en général et de leur commerce en particulier. « Il ne manque que quelques places pour que le bateau puisse partir… Vous comprenez, grâce à vous le tour sera complet. » Nous cédons à ses boniments et alignons les dollars. Je prends possession du dernier siège du pont supérieur. Le souvenir de la visite glacée sur l’autobus à étages n’est qu’un vague souvenir, en cette fin de matinée le soleil inonde la baie et nous réchauffe agréablement. Trop : faute d’avoir emporté mon fidèle couvre-chef de randonnée Decathlon, je serai victime d’un beau coup de soleil qui fera bien rire mes collègues de bureau à mon retour.

Malgré ce qu’on nous a dit, le navire n’est pas complet et nous entendons le rabatteur héler les touristes sur le Fisherman’s Wharf (« Soyez sympas, avec votre aide, nous pourrons partir… »). Enfin, nous appareillons. Cap sur le Golden Gate Bridge ! Sans être démonté, le bras de mer soumis aux courants contraires venus du large et de la baie bouge tout de même un peu. Cela m’amuse plutôt mais je vois des compagnons de voyage tourner pâles. Je forme des vœux pour qu’ils n’aient pas encore déjeuné. Après le doux parfum de l’hôtel, je ne tiens pas à mêler les odeurs de bile à ma découverte du Golden Gate.

Une vingtaine de minutes plus tard nous contemplons le pont suspendu depuis le ras des flots. Je suis un peu vexé de n’avoir pas remarqué jusqu’à présent à quel point la distance était importante entre les deux tours du pont. Ce n’est pas faute d’avoir vu ce monument dans d’innombrables films mais, seulement aujourd’hui que je le regarde pour la première fois, j’appréhende l’immensité qui nous sépare de la rive de Sausalito, par-delà la deuxième tour. Sur le chemin du retour nous longeons l’île d'Alcatraz avec les vestiges de la prison de haute sécurité. Elle est bondée de visiteurs. Nous n’y mettrons malheureusement pas les pieds, les listes d’attente étant complètes depuis longtemps.

Débarqués sur la terre ferme nous nous dirigeons vers le Pier 39. Du Neptune’s Palace, à l’extrémité du quai, nous observons les deux célèbres colonies du lieu. L'on trouve bien entendu celle des otaries installées dans la rade. Face à elle, la non moins animée colonie de touristes, se pressant à qui mieux mieux pour immortaliser la vue. On ne saurait dire qui sont les plus patauds... Bonne affaire pour le commerce, dans tous les cas.

À travers les rues de San Francisco

Nous reprenons l’auto pour rejoindre le Larkspur Hotel, cher mais situé près de l’Union Square Park, l’un des hauts lieux de la cité. Voilà enfin les rues pentues de San Francisco. Un régal ! Même à vitesse raisonnable, la Jeep fait de grands bonds. A chaque bosse, Alexandra crie de joie. Une attraction aussi joyeuse que tous les manèges du monde !

Je remarque que la hantise des San Franciscains est d’encombrer les intersections. Avant chaque carrefour, une signalisation explicite appelle à la vigilance. Personne n’ose s’engager tant que la voie d’en face n’est pas assurément libre, et l’impertinent qui prendrait ce risque est aussitôt klaxonné avec vigueur. Au-delà du souci légitime de contenir les embouteillages, j’ai dans l’idée que cette consigne est là pour garantir à tout moment un passage aux convois urgents – pompiers, ambulances… Une manière de conjurer la hantise du Big One ?

En dépit de son réel standing, notre hôtel pâtit d’un travers inhabituel. Dans les couloirs, et dans notre habitation surtout, flotte une faible et tenace odeur de crotte de chien. Il n’y a pourtant ni motocrottes confinée dans un placard, ni cadavre d’animal oublié dans un recoin. Nous l’avons vérifié. L’origine de ce relent ingrat restera un mystère. Dommage car sinon, la petite suite où nous logeons, avec son séjour, sa chambre et sa grande salle de bains, a tout pour plaire.

En fin d’après-midi nous embarquons dans un Open Top Double Decker Bus pour faire le tour de la ville. Nous aimons bien, dans nos premiers contacts avec une ville inconnue, la tradition de cette visite guidée. Grâce à elle nous pouvons noter les quartiers intéressants pour mieux en profiter dans la suite du séjour.

Nous sommes installés à l’étage, en plein air. Le guide passe dans nos rangs distribuer des châles épais. De telles couvertures en plein juillet ? Bien vite nous comprenons pourquoi. Malgré le soleil encore vif, un petit vent frais s’est levé.

Bientôt les courants d’air chargé d’humidité s’insinuent sous nos vêtements. Voilà que nous claquons des dents. Oui, on peut se trouver à la même latitude que l’Andalousie et souffrir du froid au cœur de l’été. Bizarrement il ne fait pas froid partout et tout le temps, la bise souffle plus ou moins selon l’axe qu’emprunte l’autobus. Les pires moments sont les intersections, quand les quatre vents obligent les touristes à rentrer le cou dans les épaules en espérant des temps meilleurs.

L’intérêt de la visite aurait pu nous réconforter. Mais notre guide parle très vite, trop vite. Nous perdons une bonne moitié des commentaires. Le peu que nous comprenons est émaillé de plaisanteries dont le sens nous échappe. Les autres visiteurs, avant tout soucieux d’échapper à l’insoutenable froidure san-franciscaine, ne sont pas non plus sous l’emprise d’une franche hilarité.

Le bus traverse des quartiers dissemblables. Nous passons de Chinatown à l’Italie et du front de mer à la fameuse salle du Philharmonique, contemplons des maisons colorées construites dans des rues pentues. Nous montons et embrassons le Golden Gate Bridge ainsi que l’île d’Alcatraz, puis redescendons et longeons les quais avec leur foule de visiteurs. Nous retrouvons après deux bonnes heures Union Square, notre destination finale, pour nous réfugier au Lori’s Diner. Là, entre Betty Boop grandeur nature et vénérable aéronef suspendu au plafond, nous reprenons des couleurs en faisant le bilan de la visite. A vrai dire rien ne nous a enthousiasmés - non que la ville nous ait déplu, mais les conditions de la visite étaient bien trop pénibles.

A table nous évoquons cette fameuse phrase évoquant le « pire hiver jamais vécu, c’était en juillet à San Francisco », attribuée à Ernest Hemingway par le Guide du Routard. Hemingway ? Pourtant la rumeur populaire tient Mark Twain pour auteur de ce trait d’esprit, ce qui est certainement faux. Le papa de Tom Sawyer a écrit quelque chose du même ordre, me semble-t-il, mais il parlait de Paris, pas de Frisco. Et il n’était pas question à cette époque de dérèglement climatique.

De retour à l’hôtel, enfin une bonne nouvelle : l’odeur ne nous incommode plus. Le ménage n’a pas été fait, mais nos nez sont bouchés.

samedi 24 septembre 2011

De Carmel à San Francisco

Nous allons visiter la cité voisine de Carmel. Le nom m’a abusé : je m’attendais à trouver là une bourgade de style mexicain avec ses maisons toutes blanches et son zócalo, comme l'on désigne là-bas les places des centres historiques. Non, Carmel-by-the-Sea n’a rien à voir. Nous découvrons une drôle de cité aux arbres exubérants et aux plages fréquentées par les vaches. Beaucoup de boutiques de luxe et de galeries d’art. Nous avons le sentiment d’un faste inouï qui nous met mal à l’aise, sans trop savoir pourquoi. Nous ne nous attardons pas.

Pour le soir nous décidons de suivre les conseils du guide – pas le Routard, mais ce que j’appelle le vrai guide. Lonely Planet, reconnaissons-le, a quand même une autre tenue. Il nous envoie au Montrio Bistrot de Monterey, restaurant hébergé par une ancienne caserne de pompiers. La salle a l’air chic et nous n’entrons qu’après hésitations. Heureuse idée, l'addition ne sera pas en définitive plus salée que d'habitude. Une fois encore nous constatons la joyeuse animation de l’endroit et surtout nous découvrons une vraie cuisine subtile et équilibrée, fort aimablement soulignée par un très noble verre de vin local. Après l’expérience du Pascucci à Santa Barbara, ce sera notre deuxième, et hélas ! dernière franche satisfaction gastronomique aux Etats-Unis.

Pour la fin du voyage nous voici à San Francisco. Vu le peu de temps à passer par ici nous allons droit au but. Direction Haight-Asbury, le quartier des hippies. Nous laissons donc la Jeep Patriot à l’ABC parking de Stanyan Street. Plus tard, revenu en France, je lirai sur sur Google Maps l’avis d’un anonyme sur cet endroit : « Do NOT go there Employees are insanes. Crazy chineese guy, wanted to damage my car. This is the worst parking ever. » On se croirait dans un film des frères Coen.

Nous devons à la vérité qu’il ne nous est rien arrivé de tel, plût au Ciel car nos bagages étaient restés dans la voiture. Même le tarif de stationnement « hors de prix » (dixit l’inénarrable GDR) se révèle deux fois moins élevé qu’à Paris. Nos premiers pas à San Francisco nous permettent de voir des individus étalés les bras en croix sur la pelouse du Golden Gate Park, sous l’emprise d’on n’ose imaginer quel facteur zen. D’autres poussent des caddies remplis d’objets hétéroclites, alors que de jeunes gens d’aspect masculin sont simplement revêtus de robes longues.

On voulait de l’Underground, eh bien voilà : nous avons de l’Underground.

Sur le chemin du restaurant Cha Cha Cha (le guide : « très bonne atmosphère, peut-être même la plus sympa du quartier ») je croise un magasin Amoeba Music où je complète ma collection avec le rare ballet Skycrapers de John Alden Carpenter, qui fut en son temps un rival de George Gershwin. Je trouve enfin un CD prometteur de l’immense Charles Ives avec la mythique 2e Symphonie trop peu connue de ce côté-ci de l’océan.

Si le Cha Cha Cha se révèle magnifiquement quelconque – réussir un bon ceviche n’est pas à la portée de n’importe qui, fût-il « le plus sympa du quartier » – ce n’est pas le cas avec la Haight Street que nous remontons à pied, avec ses boutiques de fumette et ses chalands bien peu conformistes. A chaque coin de rue je crois voir l’un des Fabuleux Freak Brothers. Nous tombons sur Loved to Death, une boutique de la mort. Pas d’appréhension du trépas ici, mais une collection d’objets morbides, bijoux, animaux empaillés et brochures funèbres. C’est un concept rencontrant un certain succès si j’en juge par l’affluence. Les sentinelles du lieu, malgré leur réelle et sépulcrale beauté, veillent à ce que vous ne preniez aucun cliché. Eros, Thanatos et pas de photos.

Monterey

La cité de Monterey évoque l’image de San Francisco telle que nous nous l’imaginons, avant même d’y mettre les pieds. C’est une vraie ville de la côte, aux maisons de palissades et bâtisses de marins, à laquelle les nuées d’oiseaux de mer ajoutent une touche très hitchcockienne.

Nous dînons à l’International Cuisine. Le restaurant se trouve en fait dans la ville frontalière nommée Pacific Grove, mais l’on passe de l’une à l’autre sans s’en rendre compte. Les virtuoses du GPS prendront soin à bien vérifier les adresses, les deux villes partageant les mêmes noms de rues, sans qu’elles ne soient dans la continuité les unes des autres. Ainsi la Lighthouse Avenue de Pacific Grove se transforme en Hawthorne Street dans Monterey, alors que la Lighthouse Avenue de cette dernière localité devient Central Avenue à Pacific Grove.

La salle est bondée et, comme souvent en Amérique, très bruyante. Les gens discutent à voix haute sans observer la discrétion toute française consistant à ne pas embêter les voisins avec des chroniques personnelles plus ou moins avouables. Enfin, c’était plutôt vrai avant l’invention du portable.

La carte propose quelques spécialités du Levant, les propriétaires étant d’origine jordanienne. Plats sans surprise cependant, avec une exception de taille pour Alexandra qui se voit servir une pizza géante familiale devant les yeux éberlués des tables voisines. Une erreur dans la prise de commande ? Peu importe, la serveuse nous offre le tarif Enfants. Nous repartirons avec le plat à peine entamé dans un carton.

Nous sommes les premiers le matin suivant à nous présenter devant l’un des plus grands aquariums du monde, anxieux de savoir si nous serons confrontés à cette affluence gigantesque de certains jours d’été, comme l’annonce le guide. Mais non, en deux minutes nous achetons les tickets et déambulons carte en main dans un Monterey Bay Aquarium inondé de lumière naturelle. L’endroit est très grand, apparemment sain – pour avoir visité des aquariums où les poissons flottaient le ventre à l’air, la précision n’est pas inutile – ludique et instructif à la fois.

Nous assistons au repas des manchots, avec leur façon impayable de faire la queue devant la vétérinaire qui les nourrit à tout de rôle. D’autres aquariums gigantesques présentent les kelps, ces immenses algues du littoral, et leur faune bigarrée. Ces bassins sont construits en hauteur et peuvent être étudiés depuis différents niveaux.

L’aquarium possède une terrasse ouverte sur l’ample baie de Monterey, avec son canyon immergé. Nous faisons quelques pas au dehors pour humer les embruns de la pleine mer. Le moment le plus extraordinaire est offert par l’immense écran, plus large que celui du plus prestigieux cinéma que j’aie jamais visité, constitué par une vitre ouverte sur des flots insondables. La salle est conçue comme un vaste amphithéâtre où l’on s’installe confortablement, les yeux grands ouverts sur les mille merveilles océanes. Nous découvrons des myriades de petits poissons argentés dessinant sur le champ des figures fantastiques. De la vraie 3D, sans lunettes ni effets spéciaux.

Soudain, un poisson-lune se glisse de l’autre côté de la vitre et approche son œil gigantesque des spectateurs, examinant avec grand soin ces bipèdes incongrus. Chacun s’assied pour assister au repas des poissons. Dans l’aquarium, un homme-grenouille a fait son apparition. Sa combinaison est recouverte de cottes de mailles, accoutrement compréhensible quand on côtoie, sac de victuailles en main, requins marteaux et autres barracudas. Nous assistons à la curée. Chaque espèce de poisson a sa méthode et sa zone privilégiée. Certains se bousculent vers la surface, d’autres attendent entre deux eaux que les morceaux épargnés tombent jusqu’à eux. Et parfois, un barracuda se précipite dans le nuage de poissons qui éclate en une étoile argentée, pour parfois ressortir avec une victime encore frétillante entre les mâchoires. Nous n'échappons pas aux cris outragé de midinettes révoltées par tant d’atroce réalité. Sans doute s'imaginaient-elles que les barracudas mangent des lasagnes et des pizzas, comme le chat Garfield ?

Cette visite d’exception est une étape de choix le long de la côte Ouest. Divertissante et idéalement pensée pour les enfants.

mardi 20 septembre 2011

Big Sur

La route au long du Pacifique nous déconcerte. Nous traversons un paysage hétéroclite entre conifères et plantes grasses, horizons océaniques et crêtes escarpées, tantôt Provence, tantôt Jura. L’épais brouillard venu du large engloutit les portions basses du chemin et nous plonge dans une grisaille subite, anéantie par le plein soleil californien à la moindre ascension. Pris individuellement, chacun de traits de ce paysage nous est coutumier. Océans et côtes rocheuses, brumes, falaises et palmiers ne sont pas pour nous des motifs de découverte. Mais leur assemblage nous sidère, comme le ferait l'audacieux ouvrage d'un jardinier extravagant.

A midi nous stoppons dans un hameau au bord de la route. De là, si l'on en croit les indications placardées partout, il est possible d’observer les baleines. Nous avons beau plisser les yeux, aucun rorqual n’apparaît à l’horizon. A défaut de cétacés, nous voyons poindre un groupe d’individus soufflant sous l’effort, visiblement à la traîne d’un grand mâle marqué par l’âge. C’est une équipe cycliste caressant l’ambitieux projet de lier Monterey à Morro Bay, comme l’annonce fièrement leur maillot flambant neuf. Les athlètes empruntent la même Highway 1 qui nous a tant étonnés, avec ses courbes, ses montées ardues et descentes au cœur de nappes de brouillard. Il en faut, du courage et de la santé, pour un tel itinéraire… Après tout, Greg LeMond et Lance Armstrong sont des compatriotes.

Voir de vrais sportifs sous le joug de l’effort nous rappelle, par sincère empathie, qu’il est l’heure de déjeuner. Nous trouvons là un petit resto, avec décor de bois, réclames anciennes et pancartes vantant l’observation des baleines. L'endroit ne tient pas ses promesses. Nous sommes accueillis avec indifférence, les tables sont sales, le choix très limité et le service nerveux. Comme quoi la vie urbaine n’a pas le privilège du stress. J’avale avec humeur un steak pour une fois de mauvaise qualité. Visiteurs de passage, méfiez-vous des restaurants séduisants pour voyageurs écolos. On peut militer pour les baleines et maltraiter les convives.

La prochaine étape est une aimable promenade vers une ancienne demeure grande ouverte sur l’horizon. On imagine quelle opiniâtreté il fallut aux locataires, au début du XXe siècle, pour venir s’installer dans ce recoin grandiose et inhospitalier. Mais le principal attrait du Julia Pfeiffer Burns State Park est la fameuse cascade qui arrose du haut de ses 25 mètres une plage réputée inaccessible. Les nombreuses inscriptions imbéciles laissées sur le sable prouvent cependant que tout individu un peu borné peut aller y gribouiller ce que bon lui semble, faisant l'étalage de sa maîtrise du langage SMS en même temps que de sa propre misère intellectuelle.

Nous avons dû, pour nous garer à proximité, glisser un billet dans une urne même en l’absence du moindre ranger à l’horizon. C’est la première fois de ma vie que je voyais un parcmètre en bois brut. Le reçu du stationnement, simplement arraché au talon d’une souche de tickets, atteste mon payement. Heureuse idée de l’emporter car il offre l’accès gratuit au parc d’état Pfeiffer Big Sur.

« Big Sur » était pour moi le titre d’un roman de Jack Kerouac longtemps avant de désigner le vaste parc naturel dont les falaises tombent à pic dans les déferlantes. Nous flânons dans la nature en tâchant d’identifier les séquoias. Comme nous avons renoncé à Yosemite, voilà l’occasion d’admirer enfin ces arbres géants.

C’est avec le sentiment d’un bilan en demi-teintes que nous quittons la côte. Après la plage aux éléphants, rien de ce que nous avons vu à Big Sur et au long de la California State Route 1 ne nous a bouleversé. Le mélange des genres si étourdissant aurait dû nous séduire au plus haut point. Pourtant, ce n'est pas le cas. Malgré la révélation de paysages héroïques, nous constatons avec désappointement que le coup de foudre n'a pas eu lieu. Big Sur a tout pour lui, sauf ce je-ne-sais-quoi essentiel qui nous le ferait aimer sans réserve. Est-ce le climat trop déconcertant ? L’accueil désagréable à l’étape des baleines ? La route parfois pénible entre les étapes ? Allez savoir. Il y a des jours où Cupidon s’en fout…

Nous ressentirons curieusement la même chose avec la ville de San Francisco. Pour l’heure, nous entrons dans Monterey.

jeudi 15 septembre 2011

Éléphants de mer

Nous décrétons une étape à San Simeon. Tout nous semble fermé dans le petit village (nous y retournerons le soir venu pour y trouver, à défaut d’une bonne gargote, une obscurité à couper au couteau). Un peu plus loin, un Quality Inn nous tend les bras. Il reste une chambre libre, j’en profite pour accumuler les points sur ma carte de fidélité toute neuve « Choice privileges ». On ne sait pas trop à quoi servent tous ces programmes de fidélité, mais après tout, j’ai bien eu le billet d’avion gratuit avec Flying Blue…

L’hôtel possède une piscine et un spa très agréablement chauffé, tant le vent qui s’est levé nous glace les os.

J’ai vu la première fois Citizen Kane d’Orson Welles dans un Ciné Club. Je devais avoir dix ans, mais je me souviens encore de cette séance. Le dernier mot d’un vieil homme, Rosebud, le reportage d’actualité criant de vérité, la longue quête parmi les témoins et l’une des plus belles séquences finales de toute l’histoire du cinéma. Je me souviens parfaitement de la façon dont ce film, malgré sa durée, accapara ma jeune attention.

Tant d’années plus tard, je ne pouvais pas manquer la visite du Hearst Castle, magnifique palace des Années Folles édifié pour son plaisir par William Randolph Hearst. Ce magnat de la presse et homme d’affaires aurait, dit-on, servi de modèle au personnage principal de Citizen Kane. Par malheur, nous arrivons trop tard et ne verrons en tout et pour tout que le hall d’accueil de Xanadu. Victimes de notre désir d’improviser, nous n’avons pas pris garde aux horaires de visites. Le prochain créneau est dans près de deux heures… Que faire ? Comment nous occuper d’ici là ? Contrarié par cette occasion manquée je reprends le volant. Sur le chemin se trouve la plage aux éléphants de mer. A défaut de palace de milliardaire, nous contemplerons ce rassemblement de phoques massifs.

Ces grosses bestioles ont le don d’attirer immanquablement les touristes, aussi l’endroit est-il protégé par de solides barrières. Des pancartes fournissent des informations intéressantes sur les occupants du lieu.

La plupart d’entre eux ne font rien d’autre que d’être là, sur la plage, étalant leur ventritude au soleil. De temps à autre nous voyons un éléphant somnolent relever mollement une nageoire et entreprendre de se gratter la couenne, dans le geste le plus naturellement humain que l’on puisse s’imaginer. Un autre émerge des vagues en s’est mis en tête, allez savoir pourquoi, de traverser toute la plage. Son enveloppe de graisse l’empêche d’avancer et nous le voyons peiner, mètre après mètre, dans sa difficile progression, puis retomber comme un paquet de gélatine pour reprendre son souffle. Cinq minutes plus tard le voilà de nouveau en plein effort, tout tendu vers son but chimérique, avant de s’effondrer encore dans un gros tressautement de Flamby qu’on dépote.

Deux autres bestioles pesantes se défient avec des beuglements grotesques en exhibant leur gueule béante. Le spectacle peut durer des heures, tant nous autres humains croyons discerner dans le comportement de ces animaux nos propres travers, entre engueulades de mâles et farniente poussif. Sans parler de l’allure franchement comique des forcenés de la reptation sur le sable, quand toute nécessité semble être absente de cette expédition haletante.

Scène très plaisante, rare et éducative à la fois. Un must.

Toutefois, pour avoir eu le privilège d’avoir été coursé par un de ces gros pépères dans mes vertes années, je peux certifier que tout aspect comique s’évanouit à leur proximité. Une masse furieuse d’une tonne cherchant à vous écrabouiller en beuglant comme mille cornes de brume vous dissuade de tenter de nouveau l’expérience pendant un certain laps de temps.

Santa Barbara

Contrairement à sa réputation bétassonne, héritée de l’interminable soap opera homonyme de la Une, Santa Barbara est une très jolie ville. Nous apprécions qu’elle soit à la fois cité balnéaire et métropole vivante, avec sa grande avenue animée qui part en droite ligne de l’océan. Son front de mer, agrémenté de palmiers, héberge une plage étendue, mais presque déserte. Il faut dire que le Pacifique est froid à cet endroit. A vue de pied, malgré le soleil de juillet en plein zénith, on ne doit pas être loin des 15 degrés. On comprend mieux pourquoi les rares plagistes restent prudemment sur le sable.

Nous nous cassons la tête pour trouver un endroit où laisser la Jeep. Le stationnement est régi par des règles qui nous posent problème. Tel panneau dit que le stationnement est autorisé ici le vendredi de telle heure à telle heure. Bien, mais si l’on n’est pas vendredi, faut-il comprendre qu’il est autorisé sans limite horaire ? Ou au contraire qu’il est interdit de stationner ? Les deux hypothèses nous paraissent également valables, bien qu’elles signifient exactement l’inverse l’une de l’autre. Les voitures déjà garées sont celles de riverains munis de passe-droits, et ne nous aident pas. Finalement je choisis une rue un peu à l’écart, avec une indication de stationnement sans ambiguïté : nous disposons d’une grosse heure pour déjeuner.

Un peu sceptiques, nous décidons de suivre les conseils du Routard et nous installons au Pascucci. Le restaurant de style italien se révèle, ma foi, une excellente surprise. Pour la première fois de notre voyage nous dégustons une cuisine fine, préparée avec goût et sans cette graisse sucrée qui envahit l’ordinaire de nos repas. L’addition n’est pas plus chère qu’ailleurs. Les papilles enchantées, nous nous promenons un peu dans la cité où l’on est en train de monter des estrades pour un festival de musique. Voilà un endroit qui mériterait plus qu’une poignée d’heures. Nous nous verrions bien louer l’un de ces énormes vélos familiaux pour profiter davantage des concerts et du front de mer, parmi les skateurs survitaminés et autres rolleuses en bikini. Mais quel dommage que l’eau soit si froide…

En route ! Pour cette partie du séjour, nous avons préféré ne pas réserver d’hôtel. Nous voulions laisser une chance à l’imprévu. Après tout la route vers San Francisco recèle bien quelques merveilles où nous pourrions passer la nuit. Allons à Los Alamos, par exemple. Patelin « minuscule mais d’une certaine manière incontournable », dit notre guide dans son style inimitable. Sans doute insensibles à cette « certaine manière », nous ne trouvons à l’endroit dit qu’une insipide réplique des bourgades de l’Arizona et cherchons en vain une raison de s’exalter. Sommes-nous blasés ? Peut-être aurions-nous été séduits, en commençant notre circuit par ici, au lieu de le terminer après avoir vu Seligman et Kanab… Pour ne pas être venus pour rien, nous faisons le plein. Curieusement, je retrouve quelques Français à la caisse. Ils sont tous rendus ici, je me le figure assez bien, par la grâce concentrique des bons tuyaux du Routard.

Le chemin rejoint la mer. La côte, aux rochers battus par de grosses vagues, nous paraît plutôt évoquer l’Irlande que la Californie. Nous faisons des arrêts pour profiter de ce panorama inattendu, rendu encore plus bizarre par la couche de brouillard dense que nous voyons émerger du Pacifique. Je m’étais souvent demandé comment les amateurs de cyclisme locaux pouvaient pratiquer leur sport sous le climat d’une contrée « chaude comme un four ». Je crois comprendre que la chaleur n’est pas ici un phénomène impérieux. Nous assistons en ce moment même au début d’un très long crépuscule préludé par le brouillard maritime qui envahit insensiblement le continent. Bientôt, je dois allumer les feux.

mercredi 14 septembre 2011

Mangez-moi

La voie vers le quartier bas est ouverte ! Le chemin vers l’escalator nous offre une jolie vue sur la ville. Arrivés au Lower lot, nous embarquons dans la première barque pour la visite du parc aux dinosaures. Le tour commence classiquement, au son de l’insignifiante musique de John Williams, par les grands herbivores. Plastiquement, de la belle ouvrage. L’affaire se gâte avec les premiers velociraptors et dilophosaures en liberté se disputant des restes de touristes (popcorns, ponchos et oreilles de Mickey) dans des barques accidentées. Comme dans le film, le tour se transforme en cauchemar, le chasseur en chassé, etc. Des T Rex de plus en plus gros et de plus en plus méchants pimentent l’expédition jusqu’à la chute finale.

Notre second choix se porte sur le Simpsons Ride. Nous voilà dans une navette montée sur vérins, qui s'agite au gré du grand huit conçu par l'horrible Krusty, de surcroît saboté par Tahiti Bob. Nous adorons les Simpsons, mais nous ressortons de là sur les genoux. L’attraction nous a baladés entre sensations de mort imminente et agressions visuelles en tout genre. Nous ne nous attendions pas à cela, l’humour de cette série étant plutôt de nature intellectuelle que virtuose. Vite, de l’air.

Nous optons ensuite pour le tour des studios, au prix d’une longue queue – l’affluence est là désormais. Longue mais pas insupportable, car mine de rien nous avançons sans arrêt. La file d’attente est conçue de sorte qu’on a toujours la certitude de progresser, même s’il y a des centaines d’amateurs devant vous.

Curieux tour des studios, qui mêle habilement information et divertissement. Nous passons devant les baraques de producteurs, déjà vues dans The Player de Robert Altman, puis devant le décor de Retour vers le futur et du tout récent Cowboys & Aliens parmi d'autres merveilles du 7e art.

Comme dans un cauchemar de Borges, l'envers du décor est à son tour un décor. Notre mini train devient lui-même objet de l’attraction : l’inondation d’une station de métro le touche de plein fouet (étant aux premières loges, si je puis dire, et tout juste séché de l’épisode Jurassic Park, je fus très heureux d’en reprendre une couche), nous avons été poursuivis par Norman Bates et Bruce, le squale des Dents de la mer, puis secoués par le combat entre King Kong et trois tyrannosaures alors qu’une tarentule géante voulait boulotter le mini train.

Il y a des jours comme cela où tout le monde veut vous manger.

La visite d’une scène de la Guerre des mondes, avec son véritable Boeing déchiqueté encore fumant, reste à mon avis le moment le plus fort. Cela ne m’empêche pas de songer qu’une bonne partie des films évoqués sont avant tout des blockbusters bien calibrés et destinés aux bouffeurs de pop-corn, loin de l’âge d’or d’Hollywood avec ses classiques dérangeants, sans effets spéciaux ni grosses bébêtes gastronomes.

Nous renonçons à la Momie dont nous n’apprécions pas les invasions de blattes et les macchabées de poussière parmi d’autres aspects glauques. A deux pas d’ici, un petit musée présente du matériel historique. Je lis avec plaisir d’authentiques lettres adressées à Alfred Hitchcock. Avant de reprendre le chemin du retour, nous refaisons un passage chez les dinosaures du parc jurassique.

Demain nous quitterons Los Angeles. Nous sommes déçus (surtout moi) mais conscients de n’avoir presque rien vu de cette ville gigantesque. Depuis que nous avons remis les pieds à Las Vegas et son navrant Circus Circus, nous côtoyons l’Amérique ordinaire – oserai-je écrire « vulgaire » ? Où es-tu, Ô douceur angeline ?

Encore une nuit et nous reprenons le chemin. Direction San Francisco, en prenant notre temps.

Aux studios !

Alors que la barque où nous sommes coincés s’élève cran par cran dans un tunnel dégoulinant et incendié par des gyrophares, le plafond s’ouvre et laisse apparaître un tyrannosaure aux intentions franchement malveillantes. Un tambour crescendo entretient le stress avant que tout ne se résolve dans une brusque glissade couronnée par une magnifique gerbe d’eau. Nous voilà proprement détrempés sous l’œil goguenard des spectateurs du Jurassic Park. C’était bien la peine d’ironiser sur ces pauvres touristes vus à Page… Je jette un œil à Alexandra. Malgré les angoisses du tour et la douche finale, elle n’a pas l’air du tout traumatisée, si j’en juge par sa jubilation. Voilà qu’elle en redemande ! Bon, c’est déjà ça, l’attraction lui a plu. La journée est sauvée.

Dès la veille, je me suis renseigné à l’hôtel sur les réductions pour la visite. « No problem », me dit l’employé d’accueil. Il suffira de nous faire passer pour des accompagnants d’une famille d’Angelenos. Comment cela ? C’est simple, explique-t-il. Les gens d’ici ont droit à une réduction dont ils peuvent faire profiter leurs invités. Alors, mettez-vous à l’entrée du parc, et attendez qu’une voiture locale s’approche. Il suffira de lui demander de vous déclarer comme ses invités, et vous aurez droit à des entrées moins chères. Vous n’aurez aucun problème, les gens d’ici sont sympas, comme moi.

Mouais… je pressens une combine bancale. Je sais déjà que nous allons payer le prix fort plutôt que de tenter le coup avec des inconnus. Cependant une question me taraude : comment reconnaître de véritables habitants de Los Angeles ? Mon interlocuteur affiche un large sourire : rien de plus facile, they are like me !

Cela fait deux fois qu’il prononce cette phrase. Pourtant l’homme qui me parle est natif du golfe Persique et n’a rien d’un WASP. Je ne ressens nulle ironie dans son discours. Il est visiblement fier d’appartenir à son pays d’accueil et se considère sans aucune ambiguïté comme authentique Angeleno. Je comprends qu’il y a là quelque chose qui m’échappe, un sentiment d’appartenance à la communauté plus profond que je ne l’aurais imaginé.

Ce matin nous payons donc le plein tarif et pénétrons un parc encore désert. Du moins jusqu’à un certain point au-delà duquel l’accès est restreint. La foule se presse contre cette limite en attendant l’ouverture. Nous avons droit à un discours de bienvenue puis, quand retentit la fameuse fanfare d’Universal, les barrières s’ouvrent. Vite, aux dinosaures ! Notre objectif est de faire l’attraction le plus rapidement possible pour échapper à la cohue. Malheureusement l’accès au parc jurassique n’est pas encore ouvert. Un senior nous explique qu’il faut encore patienter et nous invite à faire d’autres manèges en attendant. Pas question, nous attendrons.

Nous observons du coin de l’œil ce vieux monsieur employé du parc. Nous ne sommes pas habitués à voir des personnes âgées en plein travail, quand chez nous elles sont à la retraite. Cela semble assez fréquent en Amérique. Il faut bien le dire, ces personnes ne semblent pas particulièrement malheureuses et n’ont de toute façon rien du pépé rabougri. Faut-il préférer ce genre de petit boulot à une retraite misérable ? En réalité, même si a priori l’idée de travailler si vieux nous choque, nous ne savons quoi penser.

dimanche 11 septembre 2011

Un jour à LA

Nous voici au Pig'n whistle, restaurant d'Hollywood Boulevard plutôt accueillant avec son décor de bois. Après deux heures de plein soleil sur une banquette synthétique, la lumière tamisée nous fait un bien fou. Sur chaque mur, des écrans plats diffusent la finale de la coupe du monde de football féminin. Nous ignorions à quel point le public ici suit son équipe nationale de soccer. Depuis quelques jours, impossible d’ignorer l’événement, à la une des journaux au même titre que le règlement de la dette. Il est bien connu que dans ce pays c’est avant tout un sport que les filles apprennent à l’école. Nous assistons à la défaite des Américaines contre le cours du jeu, bien contrecarrées par une équipe japonaise opportuniste.

Dans un souci de chasse aux calories j’ai commandé une salade. Précaution inutile, elle arrive recouverte d’une couche de tacos baignés dans un fromage fondant bien gras.

Pas très loin d’ici, sur le Boulevard du Crépuscule, se trouve selon notre guide favori un magasin nommé « Amoeba music ». Mon dictionnaire m’apprend qu’« amoeba » se traduit par « amibe ». Etrange nom pour une chaîne qui se présente comme « the World's Largest Independent Record Store ». Une sorte de FNAC alternative, me dis-je en poussant la porte du magasin.

Me voici aussitôt dans une sorte d’immense hall de gare. La clientèle hésite entre amateurs de piercings aux cheveux jaunes et gothiques au teint pâle. Pour l’atmosphère feutrée et bobo de la FNAC, on repassera. Y a-t-il au moins un rayon musique classique ? Oui, là-bas, tout au fond. J’y trouve enfin du consistant : Leonard Bernstein et William Schuman, Ferde Grofé avec notamment la Death Valley Suite dirigée par le compositeur. Et un CD de compilation de Morton Gould, connu de tous les Français de ma génération grâce au générique des Dossiers de l’Ecran qui terrifiait tant le gamin que j’étais. Tout cela est vendu d’occasion, à moins de 4 dollars l’article. Je constaterai à l’écoute que la qualité des CD est irréprochable.

L’après-midi à Los Angeles se poursuit par du shopping. Rien de lourd, seulement quelques emplettes de babioles pour offrir à notre retour. Nous imaginions le cœur d’Hollywood comme une sorte de Champs-Elysées tropicaux, avec de luxueuses boutiques invitant les flâneurs au lèche-vitrine. Nous nous retrouvons dans la Goutte d’Or avec des palmiers. Foule agitée et criarde, magasins de pin’s et tee-shirts, commerçants désinvoltes, circulation automobile intense. Nous voyons plusieurs personnes fouiller les poubelles.

Seule éclaircie après Amoeba Music, un magasin dédié à la pinup Betty Page. Rien de vraiment sulfureux ici, mais un lieu tranquille et évocateur avec ses collections vintage du plus bel effet. Des mères de famille bon teint y examinent avec intérêt des robes sages ou glamour. Voilà donc la scandaleuse playmate des années 60 devenue l’icône du bon goût.

Pour balancer le mauvais moment de la visite en minibus, nous avons promis à Alexandra un tour aux Studios Universal. Il y a une attraction avec des dinosaures, et notre fille adore les dinosaures. Nous craignons juste qu’elle soit trop petite et qu’elle ne soit traumatisée par ces grosses bêtes articulées avec leurs dents pointues…

Heureusement il y a aussi le Simpsons Ride qui, pensons-nous alors, nous permettra de revenir à un rire salutaire. Nous nous trompions. Avec l’insouciance de l’ignorance, nous nous apprêtons à un réveil tôt. Demain, nous serons les premiers à entrer dans le parc des studios Universal.

mardi 6 septembre 2011

Beverly Hills

Le minibus sans toit offre une splendide vue sur les longs palmiers d’Hollywood. Curieux arbres, avec leur tronc interminable surplombé d’un petit panache de palmes. Nous les voyons défiler au-dessus de nos têtes alors que le véhicule s’approche du quartier des stars. Notre chauffeur, Alan, sert aussi de guide. Il parle beaucoup et avec enthousiasme dans un micro-cravate. Nous entendons son verbiage à travers un casque audio.

Bientôt nous voilà à Berverly Hills. Le quartier est très vert, si vert que la végétation cache par son épaisseur la vue que l’on pourrait avoir sur les résidences. De temps à autre le bus stoppe et nous apercevons, à travers un petit espace dans les frondaisons, un peu de mur blanc avec un œil de bœuf surmonté d’un morceau de toit rouge, bref un bout de villa. C’est là qu’habiterait, ou aurait habité, une actrice dans le vent ou un chanteur à succès. Alors, chacun brandit son appareil et photographie le petit bout de villa. Le bus repart et s’arrête bientôt devant un portail. Attention, pas n’importe quel portail : derrière celui-ci se trouve la somptueuse propriété de telle star, avec escalier de marbre, ses vingt-huit chambres et sept salles de bain. Alors, tout le monde brandit de nouveau son appareil et photographie le portail.

Je me demande ce que les touristes feront avec ces photos. Rentrés chez eux, ils les présenteront à leurs amis et collègues en expliquant que se trouve, derrière cette bête plaque de fer forgé, la somptueuse propriété de telle star, avec escalier de marbre, ses vingt-huit chambres et sept salles de bain ? Y mettront-ils au moins le même enthousiasme que notre guide visiblement transporté par toutes les merveilles invisibles qu’il nous décrit par le menu, comme s’il en était le secret architecte ?

Le minibus croise le chemin d’une dame d’un certain âge. Elle promène simplement son chien. Alan (sournois personnage) ralentit insensiblement, et voilà vingt objectifs nerveusement pointés vers la pauvre dame, aussitôt numérisée en milliards de pixels. Vous voulez répandre votre image aux quatre coins du monde ? Emmenez Mirza faire ses besoins à Beverly Hills.

Cette première partie nous a donc présenté quelques murs, beaucoup de haies, et des portails célèbres. Le quartier est calme, certes, et plutôt agréable, il faut bien le reconnaître. Je ne sais pas à quoi je m’attendais en achetant le billet pour cette coûteuse expédition, mais certainement pas à me faire transporter entre murs, haies et portails au son d’un commentaire exalté.

Le guide décrète que nous avons eu notre content de visions de rêves à Beverly Hills et dirige tout de go son véhicule vers un quartier résidentiel voisin. Il s’arrête devant quelques villas en nous demandant de regarder comment sont ornés leurs jardins. Ici, une haie en forme de voiture, là, un buisson taillé en lama, et ainsi de suite. Je me demande s’il ne va pas poursuivre en nous présentant des collections de nains de jardin en salopettes, avec brouettes et bonnets rouges. Une voiture particulière, mécontente des arrêts fréquents de notre bus, réclame le passage et finit par nous doubler avec un bref coup de klaxon. « Oh, you know, people here… They really hate us », nous confie Alan dans un accès de franchise. Je pense qu’il est dans le vrai, tant moi-même pense saisir les raisons de cette haine.

Nous continuons le périple par le quartier commerçant. Rodeo drive, ses boutiques de luxe avec sa clientèle argentée, ses tarifs exorbitants et ses parcmètres qui acceptent les cartes de crédit. Je tends le cou pour voir si les consommatrices du coin ressemblent à Julia Roberts, mais je vois surtout des femmes voilées.

Le minibus s’oriente enfin vers les hauteurs de la ville. Nous traversons des quartiers qui nous font penser au film La défense Lincoln. Enfin le véhicule s’immobilise. En face de nous, à flanc de colline, les lettres toutes blanches H O L L Y W O O D. « Le symbole le plus photographié au monde », tonitrue Alan dans mon casque comme s’il découvrait à l’instant même le célèbre alignement.

Le minibus nous laisse dans un parking quelque part derrière le Théâtre Chinois. C’est l’heure du déjeuner. Nous avons faim, le soleil a tapé très fort, et Alexandra s’est ennuyée pendant toute la visite. Ce n’est pas un bon moment pour les enfants. Et si on me demande mon avis, pour les adultes non plus.

dimanche 4 septembre 2011

Hollywood

Nous faisons quelques pas dans le quartier. J’ignore pourquoi en Amérique l’éclairage public paraît faiblard, toujours est-il que la pénombre de cette ville inconnue ne nous incite pas à nous éloigner de l’hôtel. Une petite place à deux pas de là offre quelques restaurants rapides de cuisine exotique. Je note la présence sur le parking d’un cabriolet occupé par une caricature de Marylin Monroe dans Sept ans de réflexion : même « Subway dress » blanche plissée, mais la plastique de Lova Moor. Étrange mariage entre le sexy chic et le vulgaire… Dans le fast food thaï que nous choisissons, nous trouvons une créature au maquillage outrancier juchée sur des talons démesurés. Mais ce n’est pas un travesti, simplement une habitante du coin qui se promène ainsi, de la façon la plus naturelle qui soit. Pour la première fois, j’ai l’impression de voir une femme déguisée en drag queen. Il faut se rendre à l’évidence : nous ne sommes plus chez les Mormons.

La cuisine est plutôt savoureuse quoi que trop copieuse, comme d’habitude. Je note que tous les convives possèdent un ordinateur portable et qu’ils l’utilisent couramment à table. Los Angeles offre toutes les apparences d’une cité branchée. Ce n’est certes pas une surprise.

Au petit matin, nous rejoignons Hollywood Boulevard à pied. Depuis le Comfort Inn, c’est l’affaire de dix minutes. Contrairement à ce que nous imaginions, le trottoir n’est pas décoré par les traces de mains des célébrités, mais par des étoiles. Chaque étoile est associée à une vedette du cinéma, de la musique, de la radio, de la télévision ou du théâtre. Voilà donc le Walk of Fame si renommé. Quelques noms sont connus, pour le reste, il faudrait chercher dans les encyclopédies. Par un curieux hasard, nous trouvons l'étoile de Broderick Crawford, nous faisant ressouvenir du déjà lointain séjour à Kanab. Nous commençons à photographier quelques étoiles mais la tâche s’avère rapidement inutile (elles sont toutes identiques au symbole et au nom près) et fastidieuse (plusieurs milliers d’étoiles).

Nous voici enfin devant le Grauman's Chinese Theatre. Il s’agit d’un cinéma décoré à la façon chinoise. Sur son esplanade se trouvent les traces tant convoitées. Je suis surpris de ne ressentir aucune émotion. Je ne vois là que de minuscules empreintes dans le béton, sans charme particulier, et cela m’agace de voir se côtoyer légendes du 7e art et phénomènes de mode. Comment a-t-on pu faire voisiner l’immense Cary Grant et les pénibles personnages de Star Wars, comme s’il s’agissait de véritables acteurs, et comme si La guerre des étoiles était un authentique chef d’œuvre ? Que fait le génial Groucho Marx sur le même plan – c’est le cas de le dire – que Daniel Ratcliffe ? Je navigue entre les déconvenues. Je trouve Steven Spielberg, mais pas Orson Welles, Woody Allen ou Milos Forman… et pour cause, ils n’y sont pas. L’esplanade est envahie de touristes excités qui, c’est un comble, piétinent allègrement les témoignages imprimés dans le sol en s’interpellant les uns les autres.

Fuyons. Mini appareil photo discrètement calé au creux de la paume, je m’approche d’une doublure de Catwoman pour faire quelques clichés de la sculpturale créature. Mais je tombe sur plus fort que moi. La fausse actrice tend un doigt vers mon objectif qu’elle a aussitôt repéré et me fait explicitement comprendre qu’elle ne tolère aucune photo. A sa véhémence elle croit bon, en me tournant ostensiblement le dos (qu’elle a pulpeux), d’ajouter un geste injurieux. Pourtant, c’est bien connu, « l’insulte ne déshonore que son auteur ». J’en déduis que Catwoman n’a pas lu Confucius.

Notre premier contact avec Hollywood a tout de la douche froide. Pas question de rester sur une impression défavorable, nous prenons place dans un mini-bus pour visiter les beaux quartiers avec les villas des stars. Beverly Hills, nous voilà !

vendredi 2 septembre 2011

Désenchantement, la suite

L’autoréférentialité du nom « Circus Circus » me met la puce à l’oreille. Je me demande en un éclair d’ironie si les fondateurs du casino n’ont pas voulu rendre un hommage au Festivus Festivus de Philippe Muray. Le jouir sans entraves de cette euphorie perpétuelle n’est-elle pas incarnée en ce lieu même par celui qui cirque qu’il cirque ? Quelle meilleure tactique que le confuso-onirisme végasien pour enterrer les restes de l’Histoire au son des machines à sous, et célébrer ainsi le règne du mort-vivant infantile et voué à le rester, monstrueusement enfanté par le nouveau millénaire au beau milieu des vivats ?

Un cri de mon estomac met fin à cette digression involontaire de mes neurones. On a beau s’interroger sur la post-histoire, il faut bien s’alimenter. Un premier restaurant est fermé. Ou plutôt non, il est grand ouvert, mais vide. Personne à table, personne derrière le comptoir, aucun serveur, aucune explication, seule la vacuité d’une salle illuminée et sans vie.

Nous fuyons cette scène de cauchemar en nous réfugiant dans un Mexicain rapide. Mauvaise pioche, la foule s’y presse déjà et l’attente s’annonce longue… Nous goûtons sans plaisir les plats qui nous sont enfin desservis. Chers et sans saveur : décidément, le Circus Circus a tout pour plaire ! en quittant le restaurant je feins une douleur au ventre pour alerter les amateurs de la file d’attente. Mon jeu de benêt apostrophe un Américain entre deux âges : « Hey, do you mean the food is really bad here ? » « worst than that », répliqué-je, heureux d’avoir été compris. Comment la pantomime vient au secours de la gastronomie !

Rendre la voiture à Alamo est un jeu d’enfants. Nous arrivons dans le parking du loueur où un agent examine brièvement le véhicule, appuie sur un bouton de son terminal portable et me tend une facturette. « That’s all right. You can go. » Adieu, Dodge Nitro aux chromes enchanteurs, tu buvais beaucoup mais nous t’aimions bien. Ce soir nous dormirons à Los Angeles.

A la cité des Anges nous attend une autre voiture de location. Nous la rendrons directement à l’aéroport de San Francisco : en Californie, les frais d’abandon sont offerts, profitons-en ! Le choix du modèle est plus mince, au propre comme au figuré. Nous repartons au volant d’une Jeep Patriot. Ce n’est pas un monstre comme la Dodge, mais un solide 4x4 à l’électronique moderne, mieux adapté à la ville.

Les abords de l’aéroport sont sans charme particulier. Nous longeons immeubles de bureau et habitations prosaïques au fil du trajet vers l’hôtel. Pour celui-ci, nous avons cassé la tirelire et aligné les dollars : le Comfort Inn Near Walk of Fame se trouve au cœur même de Hollywood, sur le Sunset Boulevard si cher aux vrais cinéphiles.

Je m’impatiente à découvrir ce quartier mythique tant la banlieue sans fin que nous n’en finissons pas de traverser me pèse, quand le GPS m’arrache à mes pensées. « Vous êtes arrivés », énonce l’engin. Comment cela, voyons donc, le TomTom a dû se tromper. Cette avenue sombre et bétonnée ne saurait être le Sunset Boulevard, n’est-ce pas ? Et l’hôtel si onéreux de nos rêves se serait transformé en cette sorte d’Ibis de périphérie, aux murs défraîchis ?

Nous devons nous rendre à l’évidence. Hollywood n’est pas le lieu chic et choc que nous convoitions. Peut-être demain, la visite de l’avenue des stars et des quartiers résidentiels sous un soleil radieux nous fera changer d’avis. Pour l’heure nous nous mettons en quête d’un endroit pour le dîner.

Retour vers l'enfer

Nous bouclons notre première partie du séjour par un retour à Las Vegas. De là, nous prendrons l’avion pour Los Angeles. Le temps des parcs nationaux, des arches de pierre et cheminées de fée est désormais derrière nous… En chemin, nous faisons une halte dans la ville de Saint George, au sud de l’Utah. Je me dirige vers ce que j’identifie enfin comme une grande librairie. Je me rends vite compte que le commerce tourne autour de trois thèmes : God, Son et Holy Spirit. Tous les livres sont soit la Bible, soit des commentaires de la Bible, soit des résumés de commentaires de la Bible. Même au rayon Enfants, je vois des épisodes de la Genèse sous forme de comics ou dessinés à la façon Disney.

J’aperçois enfin un stand Classical Music. Je dois vite déchanter : il n’y a pour ainsi dire que des hymnes ou des transcriptions grand public de chansons d’église chantées par des cowboys à chapeaux blancs. Je déniche à grand- peine un recueil de chorales par le Mormon Tabernacle Choir avec accompagnement d’orchestre symphonique. Une bonne surprise n’est pas à exclure, le chœur de Salt Lake City étant l’un des plus renommés qui soient, même si je n’imagine que trop bien les arrangements consensuels et insipides que je trouverai sur la galette. A défaut de vraie musique classique, le CD rejoindra ma collection pour témoigner de mon passage dans l’Utah et de mes vains efforts pour assouvir ma curiosité intellectuelle.

Midi approche quand la silhouette de Las Vegas apparaît au loin. Notre projet est de déjeuner dans un dinner vers la tour Stratosphere, puis de nous rendre à l’aéroport remettre la Dodge et attraper notre vol. En chemin nous longeons par hasard le Circus Circus avec son dôme en forme de chapiteau. C’est l’un des seuls casinos que nous n’ayons pas exploré en raison de son éloignement du Strip. Voilà l’occasion de parfaire notre expérience de Vegas. Nous changeons illico presto de plan et décidons de visiter le Circus Circus.

L’entrée du casino est si mal indiquée que nous croisons plusieurs fois des groupes de Chinois en quête de repères. Le parking est en travaux et personne n’a jugé bon de signaler les chemins de rechange pour accéder à l’entrée piétons… Nous finissons par l’identifier à la cohue des allées et venues. Après une semaine de grands espaces et de nature, la foule nous agresse comme une décharge de taser. La thématique du Circus Circus est parfaitement claire : fête foraine, grosse rigolade et montagnes de barbapapa.

Dès mon entrée dans le palace, je me sens l’âme du homard plongé dans le bouillon. Je retrouve en un éclair mes pires appréhensions du Las Vegas redouté avant le voyage. L’endroit est engorgé de sons agressifs et soumis à un féroce éclairage. Le décorum bariolé fait mal aux yeux, alors que la fête foraine vomit décibels saturés de hurlements. Des frères d’infortune qui crient leur mal-être devant cet étalage quasi-pornographique ? Hélas non, il s’agit simplement d’amateurs chavirés par des manèges virevoltants.

Quelques pas me mettent, pour la première fois en Amérique, en présence de la racaille. Le terme est peut-être excessif, je l’accorde, mais telle est l’impression que je ressens alors face à la brochette de blousons de cuir aux mines fermées, fermement campés sur leur territoire en marge des festivités, attendant on ne sait quoi ou on ne sait qui en scrutant la foule. Nous ne nous attardons pas pour approfondir l’observation.

jeudi 1 septembre 2011

De Zion à Bryce

Nous avons choisi Kanab pour sa proximité avec des endroits remarquables. Ainsi pouvons-nous facilement nous rendre au parc national de Zion. Sion, la Jérusalem biblique, la rivière Virgin, les rochers des trois Patriarches rappellent, s’il en était besoin, que nous sommes bien chez les Mormons. La grande question demeure : après le Grand Canyon, allons-nous encore être surpris ? Voir des tas de pierres, après tout, quel intérêt ?

Nous laissons la voiture dans un parking à l’entrée du parc. La visite se fait en bus écologique. Le circuit dessert différentes étapes avec des promenades, des endroits pour se restaurer ou contempler la nature. Nous descendons au cœur du parc. La différence avec le Grand canyon est manifeste : ici à Zion, nous sommes dans le canyon, dont nous contemplons les murailles de part et d’autre. Nous voici donc au bas de toute chose, hôtes d’un monde secret où nous berce le chant bienfaisant d’une rivière. Nous la traversons avec un pont de cordes. D’inoffensifs geckos fuient à notre approche, alors que dans les bosquets luxuriants nous devinons la vigilance empressée d’écureuils insatiables. Partout, des pancartes invitent à ne pas les nourrir, ne serait-ce que pour éviter les morsures. Il nous paraît évident que l’endroit révèle sa splendeur aux promeneurs attentionnés et affranchis de l’impérieux devoir touristique de tout faire à marche forcée. Faire le Grand Canyon, faire Monument Valley, faire Zion dans l’attente de faire Bryce et la côte Ouest, très peu pour moi. Le simple fait d’être là est déjà en soi un incommensurable privilège dont je m’efforce de savourer la quintessence.

Aller à Bryce, pour quoi faire ? Nous avons vu le Grand Canyon depuis le haut, et celui de Zion depuis le bas. Que nous manque-t-il à présent ? Et puis, Bryce, est-ce une dénomination convenable pour un parc national, je vous le demande… Le Désert de la mort, voilà un nom comme il se doit, avec son cortège d’images d’os blanchis et de crânes cornus se décomposant au soleil. Mais quelle image s’impose à vous quand on parle du canyon de Bryce ? C’est bien simple : si l’on excepte éventuellement les portraits de Lalonde ou Hortefeux, aucune.

L’endroit, pour une fois, se visite en voiture. Pas de parking obligatoire ni de navette au gaz pour rallier les différentes haltes du circuit. Nous découvrons une verte vallée offerte jusqu’aux confins du monde. Si canyon il y a, il est si large que seule l’imagination peut se le figurer. Le parc national de Bryce propose une collection insolite de paysages variés, bois de conifères, océans de sable et nappes de rochers ocres. La grande curiosité demeure les hoodoos, curieuses cheminées de pierre engendrées par l’érosion et droites comme des alignements de points d’exclamation. A chaque arrêt, une nouvelle perspective vient enchérir sur l’impression précédente. Nous négligeons à regret les chemins de randonnées prometteurs mais trop exigeants pour les jambes fragiles de notre enfant.

L’endroit est différent de tout ce que nous avons déjà vu. Il tranche sur Zion par son amplitude. Peu de chance ici de se retrouver au même endroit que tous les autres promeneurs tant l’espace est ouvert. Bryce mérite bien plus qu’une journée, nous nous promettons de revenir lors d’un prochain voyage explorer vallées enchanteresses parsemées de cheminées de fées.

Âmes et spiritueux

Plus bas en ville, je remarque la pancarte d’une brocante. La boutique se trouve un peu à l’écart, dans une maison de taille moyenne. Le propriétaire tiré de sa somnolence par mon irruption m’accueille par une plaisanterie de bienvenue. Je ne sais pas ce qu’il m’a dit, certainement un jeu de mots que mon anglais de cuisine ne me permet pas de comprendre. « Ce n’est pas grave, vous chercherez dans le dictionnaire », ajoute le gérant malicieux, avant de m’inviter à explorer le lieu. Il se renfonce dans son siège et se rendort aussitôt. J’aime les brocantes. Celle-ci a tout du grenier d’une Grandma : vieux jouets, armes décoratives, robes des temps jadis, publicités des fifties… J’aimerais ramener de belles assiettes ornées de dessins naïfs, mais je crains qu’elles ne résistent pas au voyage. Je repars avec une authentique plaque minéralogique aux armes de l’Utah.

Nous visitons le musée de la ville. Une nouvelle fois nous observons que le mot de « musée » est trompeur. Ici, pas d’objets exposés sous verre que l’on contemple pour tromper son ennui. La vaste salle tient à la fois du bazar et de la bibliothèque. La mémoire de la ville y est entreposée. Les archives scolaires côtoient relevés cadastraux, drapeaux et uniformes de parade. Le visiteur a accès à tout. Je consulte un recueil de correspondance. Il s’agit de véritables lettres des années de guerre, écrites depuis l’Europe en feu par les jeunes recrues du pays. J’ai l’impression de fouiller dans des affaires privées tant la correspondance touche à l’intimité des familles. Et pourtant non, je suis bien dans un musée où chaque pièce est dûment répertoriée. L’attachement à la nation, si étonnante pour nous Français qui tenons le patriotisme en piètre estime, surgit du moindre détail. Etoiles, bandes de couleur qui représentent les treize états fondateurs, pygargues à tête blanche sur fond rouge sont partout pour rappeler que nous sommes « sur la terre de la Liberté et la patrie des braves. »

Le Routard énonce doctement que la ville étant située dans l’austère Utah, toute vente d’alcool ne saurait se faire que dans des lieux sévèrement contrôlés. J’ignore sous l’emprise de quel stupéfiant ce chapitre a été rédigé et par quelle aberration il a pu passer les différents stades de contrôle avant publication, car il suffisait de visiter le supermarché du coin pour trouver bouteilles de vin californien et packs de bière impeccablement alignés. En guise de pièce à conviction, je photographie les bouteilles sous le regard des clients amusés.

Je remarque qu’une des bières porte le curieux nom d’Evolution Amber Ale. L’étiquette représente le dessin classique du primate adoptant la station debout puis transformé en homme, ici en train de boire un bon demi. Un sceau précise avec humour : « créé en 27 jours, pas en 7. Darwin approved ». Cette marque a été imaginée précisément pour railler l’obscurantisme des Mormons qui envisagent de bouter Darwin hors de l’école. La simple existence de cette bière démontre, n’en déplaise à certains, que l’Utah n’est pas l’endroit totalitaire que certains esprits bien intentionnés vous vendent, et que la fronde démocratique s’y exerce avec verdeur.

Toc et légende

La ville de Kanab pose une incessante question au visiteur de passage. Sommes-nous dans un décor complaisant ou dans la réalité ? Est-là un miroir aux alouettes destiné à éblouir le gogo, ou une authentique cité de l’Ouest ?

La ville est un décor. L’imposante boutique de souvenirs flanquée d’un grizzli en bois massif et d’un indien statufié plus toc que nature ne laisse pas de place au doute. L’endroit est abondamment desservi par des autocars de touristes venus faire le plein de babioles pseudo-navajo ou incontestablement westerns made in China. Au beau milieu des rayonnages, on entend dans le français le plus courant des exclamations sur le prix bon marché des Levi Strauss. Chaque trottoir est muni d’un cadre de bois semblable à ceux qu’utilisaient les cow-boys pour attacher leurs montures avant de se rendre au saloon. Partout, de petits écriteaux racontent la vie d’un acteur venu jadis jouer dans quelque movie périssable. Un peu plus loin, nous visitons un véritable décor de cinéma. Nous sommes dans le faux érigé au rang du réel. L’une des tables exposées a appartenu, dit-on, à Buffalo Bill. L’inventeur du western, cette chanson de geste d’une histoire fantasmée, était aussi un homme d’action, vengeur de Custer et massacreur de bisons. Légende et histoire deviennent à ce point inextricables.

La ville est authentiquement américaine. Ces vieux messieurs qui se baladent stetson sur la tête ne jouent pas un rôle. J’entre dans la boutique de photos pour nettoyer mon capteur. Le propriétaire est un old timer au visage marqué par le soleil de l’Utah. Sa large moustache et son chapeau à bords relevés rappellent les plus belles gueules photographiées par Robert Clark dans son exploration de l’Amérique profonde. Sans fioritures il m’annonce son aversion pour l’univers de la photo numérique avant de me vendre comme à regret un kit de nettoyage. Sa boutique est remplie de matériels hétéroclites, objectifs de l’autre millénaire, trépieds, guitares, poupées et partitions musicales. A Alexandra en arrêt devant une statue grandeur nature du Coyote de Road Runner (Bip Bip), il déclare : « C’est mon personnage favori. Malgré tout ce qu’il vit il essaye encore et encore. He never gives up. » Par la façon dont il énonce ces mots, je devine qu’il s’agit là d’une véritable profession de foi. Il répète : « Never give up. » S’accrocher coûte que coûte à cette petite ville entourée par la nature, inondée de soleil l’été et l’hiver isolée par la neige. Refuser le monde froid du digital. Ne pas céder aux simagrées du monde moderne. Regarder les autocars de visiteurs comme de simples événements épidermiques qui n’altèreront jamais l’âme de la cité. Un parfum d’éternité émane de cette boutique ancrée dans l’histoire.

Kanab

Une énorme lettre K marque de sa blancheur la colline voisine. Kanab s’annonce ainsi de loin aux visiteurs terrestres et aériens. Le Parry Lodge, belle maison coloniale qui rappelle Gone with the wind, se trouve à l’endroit où la route principale s’incurve vers la gauche. Le hall d’accueil est décoré par une multitude de clichés d’acteurs venus ici même tourner des centaines de westerns. Beaucoup de portraits sont dédicacés, mais les noms ne me disent pas grand-chose. Je note qu’au-dessus du passage vers les cuisines, quelqu’un a fixé une photo d’Annie Girardot, avec ces simples mots : « 1931 – lundi 28 février 2011. 79 ans. Bon voyage Annie, we will never forget you ». Les amateurs de cinéma du coin savent donc regarder au-delà de leur production locale. Un pied de nez aux contempteurs de l’Amérique profonde et évidemment inculte.

Notre chambre se trouve dans l’une des habitations qui cernent un grand espace derrière l’accueil. Nous serons protégés des nuisances sonores de la route. Au centre de la place, une vieille grange (Old barn) héberge un cinéma où chaque soir la direction projette un western tourné dans la région. Les séances sont gratuites pour les hôtes.

Nous héritons de l’habitation baptisée « Broderick Crawford », un obscur acteur des années 1950 (qui devait tout de même tourner avec Fellini dans Il Bidone). Un grand lit, un bureau, une salle de bains, une télévision. Pas de réfrigérateur, mais l’accès au distributeur de glace est gratuit. Nous garderons ainsi bien au frais dans une poche isotherme nourriture et boissons.

Le Parry Lodge possède une histoire similaire à celle du Goulding’s Lodge de Monument Valley. Les époux Parry s’employèrent à faire venir les vedettes de Hollywood à Kanab. Sur place, ils trouveraient calme, hébergement, piscine et naturellement les décors ad hoc pour les paysages sauvages. Le Parry Lodge deviendrait ainsi le pied à terre des équipes de tournage.

J'ai le sentiment que la ressemblance s’arrête là. Quand John Ford réalisait ses chefs d’œuvres à Monument Valley, ce sont souvent des tâcherons sans génie qui venaient tourner des séries B à Kanab. Telle est du moins mon impression en contemplant la liste interminable des films réalisés ici, où les classiques ne sont pas absents mais assez rares. L’art irremplaçable du grand cinéaste versus l’industrie ronronnante des seconds couteaux sans lendemain… Je me souviens des secondes parties de soirée de La dernière séance, la fameuse émission disparue d’Eddy Mitchell, avec ses films parfois sympathiques mais bien justement oubliés.

Seuls quelques noms de vedettes donnés aux habitations nous parlent encore : Tyrone Power, Frank Sinatra, et même un certain Ronald Reagan, qui ne devait certes pas espérer accéder à la notoriété par ses seuls talents d’acteur.

Nous testons la piscine. Malgré le grand soleil, l’eau est un peu fraîche, histoire de nous rappeler que la ville est en altitude. 1500 mètres tout de même, c’est un demi-kilomètre plus haut que le centre-ville de Chamonix ! Nous comprenons l’écriteau dressé à l’entrée de Kanab : capitale américaine des sports de neige. Et nous n’étions qu’au début de nos découvertes…

mercredi 31 août 2011

En passant par Page

Le chemin vers Kanab nous rapproche pas à pas des merveilles de la civilisation. Bientôt, affiches publicitaires et annonces de fast food accompagnent notre route. A l’approche du Lake Powell nous faisons le point sur les curiosités de la région, quand une pluie épaisse vient refroidir nos projets. Dans ces conditions il faudra oublier la trempette dans le lac et la visite d’Antelope Canyon, intrigante fissure dans la roche aux jeux de lumières déconcertants, dit-on, mais terriblement dangereuse quand il pleut.

Nous demandons au GPS de nous guider vers l’un des seuls restaurants recommandés par le Routard. La prosaïque ville de Page s’avère dénuée du moindre charme. Nous croisons quelques expéditions de touristes ridiculement juchés sur des camionnettes aménagées mais sans véritable toit. De ce fait, ils sont trempés jusqu’aux os. Je ne me vois décidément pas parmi ces pauvres gens ayant payé pour se faire ainsi exhiber à travers la ville, chemisettes grassement collées au corps et sac plastique sur la tête, tout dégoulinants de flotte… Je me sens aussi gêné qu’eux. Le tourisme organisé en Arizona n’est décidément pas fait pour les jours de pluie.

Nous faisons plusieurs fois le tour du pâté de maisons pour trouver une place à proximité du restaurant Fiesta Mexicana. Quand je descends de l’auto, je constate que les caniveaux sont parcourus d’un flux impétueux et sale, et nous devons faire de grandes enjambées pour ne pas nous trouver à notre tour détrempés.

Heureuse surprise, le restaurant mexicain n’est pas l’endroit toc décrit par le Routard. Le décor est kitsch mais ne fait que reprendre une esthétique courante chez le voisin du sud, comme devrait le savoir tout guide touristique digne de ce nom. La cuisine est savoureuse, le service impeccable assuré par d’authentiques Latinos avec lesquels j’échange quelques phrases, pour changer de mon anglais un peu trop laborieux.

Nous reprenons la route alors que le ciel retrouve en quelques minutes une teinte azurée. Le soleil de la Sun Belt aura tôt fait d’assécher les vestiges de l’averse monumentale. Nous profitons, en quittant Page, d’un arrêt à une station essence (dont la gérante parle un français émaillé de r délicieusement grasseyés) pour visiter une zone résidentielle construite sur une pente douce inclinée vers le lac. Le quartier est souverainement placide avec ses larges allées et ses villas couleur crème sagement alignées. Chacune possède son double emplacement pour voiture et bateau. Nous étions habitués aux autos spacieuses, nous découvrons les cabin cruisers effilés et équipés de moteurs monstrueux. La plaisance sur le Lac Powell est visiblement affaire de puissance et de vitesse ! Dire que j’imaginais trouver là les inoffensives coques de bois de nos latitudes… Je ne parviens pas à me faire à l’idée qu’ici, l’échelle n’est simplement pas la même.

Direction Kanab, Zion, Bryce, autant de noms qui n’évoquent rien du Far West aux novices que nous sommes. Nous passerons pourtant là-bas les journées les plus typiquement américaines de notre séjour.

samedi 27 août 2011

Merci Mr Goulding

Sans mister Goulding, l'histoire du cinéma aurait été autre. C'est lui qui, dans les années 1930, alla persuader John Ford de venir tourner ses westerns dans le désert rouge de Monument Valley. Cela n'avait rien d'évident : sans vraie route, l'endroit n'était pas accessible. L'eau était rare, et la région faisait partie de la réserve navajo.

Mais rien ne put réfréner l'enthousiasme de John Ford pour ce panorama sans équivalent. Il restait donc au cœur de l’Amérique de telles merveilles ! Stagecoach allait révéler John Wayne au monde. Nous connaissons ce film sous le titre maladroitement traduit de La chevauchée fantastique. La diligence de l’histoire, ou son exacte réplique, est exposée devant la maison de Mr Goulding, aujourd’hui transformée en musée, si l’on peut dire. Il s’agit plutôt d’une reconstitution in situ de scènes domestiques de la famille Goulding : la cuisine avec ses ustensiles, le salon équipé d’une TSF et d’un gramophone, la chambre à coucher… On est surpris par la modestie de la maison, si petite dans une perspective si étendue. A deux pas de là, l'authentique cabane de John Wayne.

Plus tard, pour Searchers (La prisonnière du désert), une véritable petite ville allait être construite pour accueillir équipes, acteurs et chevaux.... J'aime à croire que c’est ici même que nous nous installons pour un jour. L'endroit possède un restaurant et quelques chambres. Le lieu est empli de charme, plus encore que l'hôtel The View, un peu trop impersonnel dans sa modernité faussement ancestrale.

Les bâtiments en bois de Goulding’s Lodge, la piscine en contrebas, la vue surplombant un aérodrome desservis par des petits avions de transport, octroient au lieu un indéniable cachet d'authenticité. La vue sur la vallée des monuments est remarquable, bien qu’éloignée de la réserve navajo.

Nous prenons la voiture pour aller voir le Mexican Hat, rocher dont le sommet évoque, paraît-il, un chapeau mexicain. La curiosité est bien là, décevante en réalité, mais l’intérêt se trouve à l’évidence dans la route que nous empruntons. Elle longe la Monument Valley, que nous ne finissons pas de contempler. Son paysage héroïque éblouira notre retour vers Goulding’s Lodge.

Notre prochaine étape sera la ville de Kanab, autre haut-lieu des westerns. Mais comme on le verra il ne s’agit pas précisément de la même classe de films.

lundi 22 août 2011

Monument Valley

La sonnerie stridente du portable m'arrache à mon sommeil et je m'aperçois aussitôt que la chambre est claire. Me serais-je trompé dans la programmation du réveil ? Avons-nous raté le lever du soleil sur le désert, pour lequel nous avons fait tant de kilomètres ?

En deux pas nerveux, je suis accoudé au balcon pour constater qu'une petite foule de touristes a déjà pris place, au bout du bâtiment, pour assister au spectacle. Quel soulagement, nous n'avons rien manqué. Le soleil est encore sous l'horizon, la clarté émane du crépuscule matinal. Le jeu de lumières, splendide, réhausse encore la vision inouie des mittens et mesas de Monument Valley. Je photographie à tour de bras alors que la boule rougeâtre du soleil perce les nuages de l'aube. Je ne suis certes pas le seul si j'en juge par les cris d'admiration venus des autres balcons : Ooohh ! Aaahh ! Amazing ! Unbelievable !

Nous profitons du réveil pour une fois matutinal pour déjeuner et boucler nos affaires. Nous ferons la visite de la vallée avec la voiture chargée et rejoindrons ensuite directement le Goulding's Lodge pour la seconde nuit dans la région. Nous aurions bien aimé rester une nuit de plus dans The View hotel, si la place avait été disponible... Là encore, plusieurs mois à l'avance n'étaient pas suffisants pour réserver un séjour de deux nuitées. Peut-on raisonnablement s'en plaindre, surtout après pareille scène ? Je me félicite bien au contraire d'avoir pu dénicher in extremis la dernière chambre.

Dès le début du circuit sur la piste de poussière rouge, nous apprécions d'avoir loué un solide 4x4. Les rares limousines qui nous ont précédées louvoient entre ornières et portions bossuées et donnent le sentiment de pouvoir rester enlisées à tout moment. Rapidement nous sommes seuls entre les énormes pitons qui surgissent du sol ocre. Les autres visiteurs nous sont cachés par le relief et la distance.

Un premier arrêt nous permet de les retrouver. Il y a là des boutiques de souvenirs, que nous négligeons, une vendeuse de nourriture dont le mobile home est recouvert de maximes amusantes, et surtout un cow-boy. Ou plus exactement, le cow-boy, l'archétype du cavalier légendaire, Stetson blanc, chemise rouge et jeans Levi's, juché sur un pur-sang qu'il mène avec une souveraine nonchalance. Nous voyons là le modèle vivant de tant de photos trouvées dans les revues, nos propres guides et tant de sites internet. Sous un soleil de plomb, le héros de l'Ouest et son mustang, sur fond de rochers gigantesques, le regard tourné vers l'horizon ocre. C'est tout à la fois Hopalong Cassidy, Tom Mix, John Wayne et la réclame de Marlboro.

La visite dure plusieurs heures tant les arrêts sont nombreux. Nous traversons des zones contrastées. Certaines n'offrent que poussière rouge à perte de vue, d'autres accueillent herbes et arbres secs que nous visitons à pied en prenant garde à d'hypothétiques crotales. Il ne manque guère à notre inventaire de clichés bien réels que ces curieux buissons roulants que les Américains appellent "tumbleweeds". Il nous arrive de croiser un véhicule utilitaire monté sur des roues énormes et transportant dans quelque hameau du coin une imposante citerne d'eau potable.

Au sortir du parc, nous croisons les nouveaux arrivants qui feront le tour sous un soleil au zénith. En leur souhaitant bon courage, nous prenons la direction du Goulding's Lodge.

dimanche 21 août 2011

Chez les Navajos

Je quitte à regret le Grand Canyon. L'endroit est vaste et nous n'avons fait que passer là où d'autres s'installent, font des promenades à vélo le long des précipices ou descendent même dans l'abîme à dos d'âne. Un spectacle de danses indiennes auquel nous prévoyions d'assister est annulé à la dernière minute. Nous avons noté la présence d'une gare ferroviaire dans l'enceinte même du parc, à deux pas de logements.

Voilà qui me dirait bien pour un futur séjour : train du Far West, puis séjour tranquille avec des expéditions en vélo et spectacles de danses. Peut-être quand Alexandra sera plus grande...

Direction nord-est. Nous avons réservé une nuit dans un hôtel nommé The View, dans la réserve Navajo. Il donne, selon la réclame, en plein sur les fameuses buttes qui surgissent du désert. Pas de risque d'avoir une chambre mal située, elles sont toutes construites sur le même côté de l'édifice, plein est.

La route défile sans intérêt particulier. Nous passons à proximité de villes aux noms évocateurs : Cameron, Tuba City, Kayenta... Enfin, à l'approche de l'Utah, d'étranges silhouettes se dessinent au loin.

Pas de doute, il doit s'agir des mesas si typiques de westerns de notre enfance et dont nous contemplons la masse lointaine pour la première fois.

Le chemin vers l'hôtel quitte la route principale pour s'aventurer en plein désert. Nous sommes au beau milieu d'un océan de poussière rouge qui, nous le verrons bien assez tôt, s'insinue partout et recouvrira la Dodge d'une tenace pellicule de saleté ocre.

Juste avant l'hôtel, nous devons acquitter le droit d'entrée dans la réserve. Je montre la réservation au Navajo qui garde la guérite pour savoir si le droit de passage n'était pas, par hasard, inclus dans le prix de la chambre. Peine perdue, l'homme me dit que l'hôtel étant privé, je dois bel et bien payer quinze dollars, comme à l'entrée du Grand Canyon. En revanche, le circuit en voiture dans ce paysage de rêve sera gratuit. J'empoche la monnaie et jette un oeil sur Alexandra, muette de stupéfaction (et peut-être de peur) d'avoir vu son premier vrai Indien, comme dans Yakari !

Je m'attendais à une sorte de résidence touristique sans âme, je me retrouve dans un accueil décoré avec goût et grand ouvert sur le désert et les mesas. Je pense aussitôt à l'hôtel Overlook de Shining, sauf qu'ici les Indiens ne sont pas sous terre mais aux commandes. Notre chambre, comme toutes les autres, possède un balcon où l'on profite d'une vue unique. Là bas, entre les pics rocheux, nous apercevons les véhicules qui reviennent de leur visite dans Monument Valley. Nous-mêmes ferons le tour le lendemain matin, après avoir contemplé le lever du jour. Nous nous dirigeons vers le restaurant, en priant le ciel que nous ne soyons pas une fois de plus contraints à un buffet pléthorique.

Vaine crainte, la formule à volonté n'est qu'une option, et bientôt nous commandons des plats typiques accompagnés de pain najavo. Le fry bread est en réalité une galette frite, servie toute chaude et plutôt bienvenue. Nous constatons que la mie a des reflets bleutés. Mon plat, une sorte de ragoût, est appréciable sans plus. L'affaire passerait mieux avec un verre de vin californien ou de bonne bière, mais tout alcool est banni du territoire Navajo. Nous voilà au régime forcé eau et jus de fruits.

La terrasse offre le spectacle du couchant sur le désert. Un écriteau prétend que le point de vue était celui que John Ford préférait. Réalité ou propagande ? Va savoir... Pour l'heure, entre chien et loup, je me remémore l'extraordinaire scène de Searchers (La prisonnière du désert) dans laquelle Aaron Edwards pressent la menace invisible des Comanches.

Nous mettons le réveil à 5h00, afin de ne rien rater du lever du jour sur Monument Valley.

samedi 20 août 2011

Points de vue

Le lendemain matin, le programme est clairement établi : pour être tranquilles, nous rendons la chambre et chargeons l'auto. Ensuite nous poursuivons la visite du Grand Canyon avec la navette. Une fois de retour du premier circuit nous visiterons le reste en voiture, puisque certains points de vue sont accessibles à tout un chacun depuis la route. Fin de la visite et voyage vers Monument Valley.

La visite des points de vue confirme l'enchantement de la première impression, faite d'une telle immensité qu'elle paraît irréelle. Inutile d'aligner les superlatifs. Toutes ces images, nous ne les connaissions que trop bien depuis notre enfance, à travers livres d'images ou films d'aventure. Mais on a beau s'y attendre, rien ne préparait à une telle contemplation.

Et nous ne sommes encore qu'au début du séjour ! Je me demande si ce que nous avons prévu de visiter par la suite réussira à nous intéresser et ne sera pas complètement fade à côté des impressions de Grand Canyon ? On le verra, pourtant, nous n'étions qu'au commencement des merveilles.

Pour le déjeuner nous nous arrêtons dans un petit self service. Rien d'extraordinaire en vérité, mais je ne peux m'empêcher d'apprécier la tenue du lieu. Pas de poubelles débordantes, pas d'emballages vides sur le sol, même autour des tables de pique-nique. Les toilettes sont irréprochables sans avoir l'aspect quasi clinique que l'on remarque en Allemagne ou en Suisse. Le self n'est animé d'aucune musique, de sorte que nous entendons tous les murmures de la forêt. L'endroit est simplement accueillant comme un chez-soi familier.

On me demande de remplir un questionnaire sur le parc national du Grand Canyon. Je formule trois remarques.

Tout d'abord, qu'une boutique photo ferait fortune. Comment résister à la tentation de ramener un souvenir, même vague, de la démesure du panorama ? Tous les touristes sont munis de numériques reflex ou bridge. Qui serait assez fort pour renoncer à acquérir un objectif grand angle opportunément mis en vente au cœur même du Parc ? Je me prends à regretter le non-achat, même à prix fort, du zoom testé quelques jours plus tôt à Las Vegas..

Une telle boutique (ce sera ma seconde remarque) proposerait des kits de nettoyage des capteurs, inévitablement salis par des petites poussières à force de changer les objectifs. Je m'étonne de ne pas trouver le minimum (une simple bombe à air comprimé aurait fait l'affaire) dans le supermarché pourtant plutôt bien achalandé.

Je formule enfin la suggestion de compléter le rayon CD du magasin principal par de la musique classique américaine. Je sais que cela est une de mes marottes, mais tout de même, quel dommage d'avoir eu des artistes inspirés par l'endroit sans que l'on mette à profit leurs créations.

Prenez Ferde Grofé, surtout réputé pour avoir orchestré la Rhapsody in Blue de Gershwin. L'homme, bien américain malgré l'accent aigu de son nom issu d'une lointaine lignée française, a écrit une Grand Canyon Suite pour orchestre symphonique connue de tous les Américains. Le pas de l'âne de son mouvement central (On the trail) accompagne d'innombrables cartoons. J'ai même entendu cette musique dans le train qui fait le tour de Dysneyland Paris. L'oeuvre possède une tempête impressionnante (Cloudburst) et a été dirigée par Toscanini et Bernstein.

Plus anecdotiquement, je suggère aussi des oeuvres d'Anton Philipp Heinrich. Celui que l'on nomma le Beethoven américain est aujourd'hui seulement connu par quelques encyclopédies. Heinrich, si ma mémoire est bonne, avait illustré en musique l'improbable dialogue d'un rossignol et d'un ours par-delà le Grand Canyon. Une scène musicale dont l'écrivain Josef Škvorecký tire un passage savoureux dans son roman Scherzo Capriccioso (Dvořák in love).