jeudi 1 septembre 2011

Âmes et spiritueux

Plus bas en ville, je remarque la pancarte d’une brocante. La boutique se trouve un peu à l’écart, dans une maison de taille moyenne. Le propriétaire tiré de sa somnolence par mon irruption m’accueille par une plaisanterie de bienvenue. Je ne sais pas ce qu’il m’a dit, certainement un jeu de mots que mon anglais de cuisine ne me permet pas de comprendre. « Ce n’est pas grave, vous chercherez dans le dictionnaire », ajoute le gérant malicieux, avant de m’inviter à explorer le lieu. Il se renfonce dans son siège et se rendort aussitôt. J’aime les brocantes. Celle-ci a tout du grenier d’une Grandma : vieux jouets, armes décoratives, robes des temps jadis, publicités des fifties… J’aimerais ramener de belles assiettes ornées de dessins naïfs, mais je crains qu’elles ne résistent pas au voyage. Je repars avec une authentique plaque minéralogique aux armes de l’Utah.

Nous visitons le musée de la ville. Une nouvelle fois nous observons que le mot de « musée » est trompeur. Ici, pas d’objets exposés sous verre que l’on contemple pour tromper son ennui. La vaste salle tient à la fois du bazar et de la bibliothèque. La mémoire de la ville y est entreposée. Les archives scolaires côtoient relevés cadastraux, drapeaux et uniformes de parade. Le visiteur a accès à tout. Je consulte un recueil de correspondance. Il s’agit de véritables lettres des années de guerre, écrites depuis l’Europe en feu par les jeunes recrues du pays. J’ai l’impression de fouiller dans des affaires privées tant la correspondance touche à l’intimité des familles. Et pourtant non, je suis bien dans un musée où chaque pièce est dûment répertoriée. L’attachement à la nation, si étonnante pour nous Français qui tenons le patriotisme en piètre estime, surgit du moindre détail. Etoiles, bandes de couleur qui représentent les treize états fondateurs, pygargues à tête blanche sur fond rouge sont partout pour rappeler que nous sommes « sur la terre de la Liberté et la patrie des braves. »

Le Routard énonce doctement que la ville étant située dans l’austère Utah, toute vente d’alcool ne saurait se faire que dans des lieux sévèrement contrôlés. J’ignore sous l’emprise de quel stupéfiant ce chapitre a été rédigé et par quelle aberration il a pu passer les différents stades de contrôle avant publication, car il suffisait de visiter le supermarché du coin pour trouver bouteilles de vin californien et packs de bière impeccablement alignés. En guise de pièce à conviction, je photographie les bouteilles sous le regard des clients amusés.

Je remarque qu’une des bières porte le curieux nom d’Evolution Amber Ale. L’étiquette représente le dessin classique du primate adoptant la station debout puis transformé en homme, ici en train de boire un bon demi. Un sceau précise avec humour : « créé en 27 jours, pas en 7. Darwin approved ». Cette marque a été imaginée précisément pour railler l’obscurantisme des Mormons qui envisagent de bouter Darwin hors de l’école. La simple existence de cette bière démontre, n’en déplaise à certains, que l’Utah n’est pas l’endroit totalitaire que certains esprits bien intentionnés vous vendent, et que la fronde démocratique s’y exerce avec verdeur.

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