jeudi 15 septembre 2011

Éléphants de mer

Nous décrétons une étape à San Simeon. Tout nous semble fermé dans le petit village (nous y retournerons le soir venu pour y trouver, à défaut d’une bonne gargote, une obscurité à couper au couteau). Un peu plus loin, un Quality Inn nous tend les bras. Il reste une chambre libre, j’en profite pour accumuler les points sur ma carte de fidélité toute neuve « Choice privileges ». On ne sait pas trop à quoi servent tous ces programmes de fidélité, mais après tout, j’ai bien eu le billet d’avion gratuit avec Flying Blue…

L’hôtel possède une piscine et un spa très agréablement chauffé, tant le vent qui s’est levé nous glace les os.

J’ai vu la première fois Citizen Kane d’Orson Welles dans un Ciné Club. Je devais avoir dix ans, mais je me souviens encore de cette séance. Le dernier mot d’un vieil homme, Rosebud, le reportage d’actualité criant de vérité, la longue quête parmi les témoins et l’une des plus belles séquences finales de toute l’histoire du cinéma. Je me souviens parfaitement de la façon dont ce film, malgré sa durée, accapara ma jeune attention.

Tant d’années plus tard, je ne pouvais pas manquer la visite du Hearst Castle, magnifique palace des Années Folles édifié pour son plaisir par William Randolph Hearst. Ce magnat de la presse et homme d’affaires aurait, dit-on, servi de modèle au personnage principal de Citizen Kane. Par malheur, nous arrivons trop tard et ne verrons en tout et pour tout que le hall d’accueil de Xanadu. Victimes de notre désir d’improviser, nous n’avons pas pris garde aux horaires de visites. Le prochain créneau est dans près de deux heures… Que faire ? Comment nous occuper d’ici là ? Contrarié par cette occasion manquée je reprends le volant. Sur le chemin se trouve la plage aux éléphants de mer. A défaut de palace de milliardaire, nous contemplerons ce rassemblement de phoques massifs.

Ces grosses bestioles ont le don d’attirer immanquablement les touristes, aussi l’endroit est-il protégé par de solides barrières. Des pancartes fournissent des informations intéressantes sur les occupants du lieu.

La plupart d’entre eux ne font rien d’autre que d’être là, sur la plage, étalant leur ventritude au soleil. De temps à autre nous voyons un éléphant somnolent relever mollement une nageoire et entreprendre de se gratter la couenne, dans le geste le plus naturellement humain que l’on puisse s’imaginer. Un autre émerge des vagues en s’est mis en tête, allez savoir pourquoi, de traverser toute la plage. Son enveloppe de graisse l’empêche d’avancer et nous le voyons peiner, mètre après mètre, dans sa difficile progression, puis retomber comme un paquet de gélatine pour reprendre son souffle. Cinq minutes plus tard le voilà de nouveau en plein effort, tout tendu vers son but chimérique, avant de s’effondrer encore dans un gros tressautement de Flamby qu’on dépote.

Deux autres bestioles pesantes se défient avec des beuglements grotesques en exhibant leur gueule béante. Le spectacle peut durer des heures, tant nous autres humains croyons discerner dans le comportement de ces animaux nos propres travers, entre engueulades de mâles et farniente poussif. Sans parler de l’allure franchement comique des forcenés de la reptation sur le sable, quand toute nécessité semble être absente de cette expédition haletante.

Scène très plaisante, rare et éducative à la fois. Un must.

Toutefois, pour avoir eu le privilège d’avoir été coursé par un de ces gros pépères dans mes vertes années, je peux certifier que tout aspect comique s’évanouit à leur proximité. Une masse furieuse d’une tonne cherchant à vous écrabouiller en beuglant comme mille cornes de brume vous dissuade de tenter de nouveau l’expérience pendant un certain laps de temps.

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