lundi 15 août 2011

La nostalgie 66

Kingman se trouve sur la Route 66. Le mot "route" est un faux ami, car il ne s'agit pas d'une voie de circulation comme l'on parlerait chez nous de l'Autoroute du Soleil ou d'une quelconque départementale de sous-préfecture. Il faut plutôt songer à un vaste itinéraire (tel est le sens du mot anglais "route"), mettant en relation nord-est et sud-ouest américains. Ce long chemin allant de Chicago à la banlieue nord de Los Angeles, sur la côte pacifique, porte en lui les espoirs et les douleurs de toute une nation. Ce fut le chemin des pionniers en quête de fortune, puis des masses de sans-travail lors de la crise de 29. Après la guerre, les voyageurs insouciants la sillonnèrent, heureux d'une prospérité sans précédent.

Sa dimension mythique est aujourd'hui parée de nostalgie. La concurrence des avions et de l'autoroute ont relégué la Mother road au rang d'axe de seconde importance. La Route 66 tient en quelque sorte d'une route fantôme, ne survivant que par l'évocation de son passé légendaire.

Le musée Route 66 de Kingman fait partager une réelle émotion à l'aide d'évocations simples et habiles. Le terme de musée est un peu inapproprié : l'endroit tient aussi bien du sanctuaire que du grenier, avec ses objets de tous les jours usés par l'âge mais présentés de la manière la plus naturelle qui soit, sa reconstitution de belles américaines aux carrosseries rutilantes et de stations service où il ne manque que la silhouette chaloupée de James Dean.





L'on n'associe pas spontanément l'Amérique, terre de pragmatisme et de progrès, au sentiment nostalgique. A bien y penser, pourtant, dès le milieu du XIXe, le courant littéraire nommé transcendantalisme, déjà écologiste, critique le monde moderne et réclame un retour à la nature. Relisons David Thoreau :

"J'ai la nostalgie d'une de ces vieilles routes sinueuses et inhabitées qui mènent hors des villes... une route qui conduise aux confins de la terre."

Un puissant courant nostalgique parcourt l'œuvre d'Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgerald, Tenessee Williams. Jack London et son Burning daylight. Truman Capote et sa nouvelle I remember my Grandpa (Un été indien). James Agee avec ses souvenirs d'enfance de Knoxville : Summer of 1915, magnifiquement mis en musique par Samuel Barber.

La quête du chez-soi est un classique de l'âge d'or d'Hollywood. "There's no place like home", soupire Dorothy, la jeune héroïne du Magicien d'Oz, film qui accompagne l'existence de chaque Américain. Que l'on pense encore à Gone with the wind ou Sunset Boulevard. Et la parabole de Citizen Kane n'est qu'une longue poursuite d'une idée nostalgique, le Rosebud de Foster Kane. Le passage vers la modernité et l'abandon de l'ère des mythes sont au cœur de L'homme qui tua Liberty Valence de John Ford : "quand la légende devient les faits, imprime la légende".

Cette évocation de l'Amérique tournée vers son passé m'accompagne alors qu'au sortir du musée, un poste de télévision admet que les États-unis seront peut-être incapables de résoudre la terrible question de leur dette.


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