samedi 24 septembre 2011

De Carmel à San Francisco

Nous allons visiter la cité voisine de Carmel. Le nom m’a abusé : je m’attendais à trouver là une bourgade de style mexicain avec ses maisons toutes blanches et son zócalo, comme l'on désigne là-bas les places des centres historiques. Non, Carmel-by-the-Sea n’a rien à voir. Nous découvrons une drôle de cité aux arbres exubérants et aux plages fréquentées par les vaches. Beaucoup de boutiques de luxe et de galeries d’art. Nous avons le sentiment d’un faste inouï qui nous met mal à l’aise, sans trop savoir pourquoi. Nous ne nous attardons pas.

Pour le soir nous décidons de suivre les conseils du guide – pas le Routard, mais ce que j’appelle le vrai guide. Lonely Planet, reconnaissons-le, a quand même une autre tenue. Il nous envoie au Montrio Bistrot de Monterey, restaurant hébergé par une ancienne caserne de pompiers. La salle a l’air chic et nous n’entrons qu’après hésitations. Heureuse idée, l'addition ne sera pas en définitive plus salée que d'habitude. Une fois encore nous constatons la joyeuse animation de l’endroit et surtout nous découvrons une vraie cuisine subtile et équilibrée, fort aimablement soulignée par un très noble verre de vin local. Après l’expérience du Pascucci à Santa Barbara, ce sera notre deuxième, et hélas ! dernière franche satisfaction gastronomique aux Etats-Unis.

Pour la fin du voyage nous voici à San Francisco. Vu le peu de temps à passer par ici nous allons droit au but. Direction Haight-Asbury, le quartier des hippies. Nous laissons donc la Jeep Patriot à l’ABC parking de Stanyan Street. Plus tard, revenu en France, je lirai sur sur Google Maps l’avis d’un anonyme sur cet endroit : « Do NOT go there Employees are insanes. Crazy chineese guy, wanted to damage my car. This is the worst parking ever. » On se croirait dans un film des frères Coen.

Nous devons à la vérité qu’il ne nous est rien arrivé de tel, plût au Ciel car nos bagages étaient restés dans la voiture. Même le tarif de stationnement « hors de prix » (dixit l’inénarrable GDR) se révèle deux fois moins élevé qu’à Paris. Nos premiers pas à San Francisco nous permettent de voir des individus étalés les bras en croix sur la pelouse du Golden Gate Park, sous l’emprise d’on n’ose imaginer quel facteur zen. D’autres poussent des caddies remplis d’objets hétéroclites, alors que de jeunes gens d’aspect masculin sont simplement revêtus de robes longues.

On voulait de l’Underground, eh bien voilà : nous avons de l’Underground.

Sur le chemin du restaurant Cha Cha Cha (le guide : « très bonne atmosphère, peut-être même la plus sympa du quartier ») je croise un magasin Amoeba Music où je complète ma collection avec le rare ballet Skycrapers de John Alden Carpenter, qui fut en son temps un rival de George Gershwin. Je trouve enfin un CD prometteur de l’immense Charles Ives avec la mythique 2e Symphonie trop peu connue de ce côté-ci de l’océan.

Si le Cha Cha Cha se révèle magnifiquement quelconque – réussir un bon ceviche n’est pas à la portée de n’importe qui, fût-il « le plus sympa du quartier » – ce n’est pas le cas avec la Haight Street que nous remontons à pied, avec ses boutiques de fumette et ses chalands bien peu conformistes. A chaque coin de rue je crois voir l’un des Fabuleux Freak Brothers. Nous tombons sur Loved to Death, une boutique de la mort. Pas d’appréhension du trépas ici, mais une collection d’objets morbides, bijoux, animaux empaillés et brochures funèbres. C’est un concept rencontrant un certain succès si j’en juge par l’affluence. Les sentinelles du lieu, malgré leur réelle et sépulcrale beauté, veillent à ce que vous ne preniez aucun cliché. Eros, Thanatos et pas de photos.

Monterey

La cité de Monterey évoque l’image de San Francisco telle que nous nous l’imaginons, avant même d’y mettre les pieds. C’est une vraie ville de la côte, aux maisons de palissades et bâtisses de marins, à laquelle les nuées d’oiseaux de mer ajoutent une touche très hitchcockienne.

Nous dînons à l’International Cuisine. Le restaurant se trouve en fait dans la ville frontalière nommée Pacific Grove, mais l’on passe de l’une à l’autre sans s’en rendre compte. Les virtuoses du GPS prendront soin à bien vérifier les adresses, les deux villes partageant les mêmes noms de rues, sans qu’elles ne soient dans la continuité les unes des autres. Ainsi la Lighthouse Avenue de Pacific Grove se transforme en Hawthorne Street dans Monterey, alors que la Lighthouse Avenue de cette dernière localité devient Central Avenue à Pacific Grove.

La salle est bondée et, comme souvent en Amérique, très bruyante. Les gens discutent à voix haute sans observer la discrétion toute française consistant à ne pas embêter les voisins avec des chroniques personnelles plus ou moins avouables. Enfin, c’était plutôt vrai avant l’invention du portable.

La carte propose quelques spécialités du Levant, les propriétaires étant d’origine jordanienne. Plats sans surprise cependant, avec une exception de taille pour Alexandra qui se voit servir une pizza géante familiale devant les yeux éberlués des tables voisines. Une erreur dans la prise de commande ? Peu importe, la serveuse nous offre le tarif Enfants. Nous repartirons avec le plat à peine entamé dans un carton.

Nous sommes les premiers le matin suivant à nous présenter devant l’un des plus grands aquariums du monde, anxieux de savoir si nous serons confrontés à cette affluence gigantesque de certains jours d’été, comme l’annonce le guide. Mais non, en deux minutes nous achetons les tickets et déambulons carte en main dans un Monterey Bay Aquarium inondé de lumière naturelle. L’endroit est très grand, apparemment sain – pour avoir visité des aquariums où les poissons flottaient le ventre à l’air, la précision n’est pas inutile – ludique et instructif à la fois.

Nous assistons au repas des manchots, avec leur façon impayable de faire la queue devant la vétérinaire qui les nourrit à tout de rôle. D’autres aquariums gigantesques présentent les kelps, ces immenses algues du littoral, et leur faune bigarrée. Ces bassins sont construits en hauteur et peuvent être étudiés depuis différents niveaux.

L’aquarium possède une terrasse ouverte sur l’ample baie de Monterey, avec son canyon immergé. Nous faisons quelques pas au dehors pour humer les embruns de la pleine mer. Le moment le plus extraordinaire est offert par l’immense écran, plus large que celui du plus prestigieux cinéma que j’aie jamais visité, constitué par une vitre ouverte sur des flots insondables. La salle est conçue comme un vaste amphithéâtre où l’on s’installe confortablement, les yeux grands ouverts sur les mille merveilles océanes. Nous découvrons des myriades de petits poissons argentés dessinant sur le champ des figures fantastiques. De la vraie 3D, sans lunettes ni effets spéciaux.

Soudain, un poisson-lune se glisse de l’autre côté de la vitre et approche son œil gigantesque des spectateurs, examinant avec grand soin ces bipèdes incongrus. Chacun s’assied pour assister au repas des poissons. Dans l’aquarium, un homme-grenouille a fait son apparition. Sa combinaison est recouverte de cottes de mailles, accoutrement compréhensible quand on côtoie, sac de victuailles en main, requins marteaux et autres barracudas. Nous assistons à la curée. Chaque espèce de poisson a sa méthode et sa zone privilégiée. Certains se bousculent vers la surface, d’autres attendent entre deux eaux que les morceaux épargnés tombent jusqu’à eux. Et parfois, un barracuda se précipite dans le nuage de poissons qui éclate en une étoile argentée, pour parfois ressortir avec une victime encore frétillante entre les mâchoires. Nous n'échappons pas aux cris outragé de midinettes révoltées par tant d’atroce réalité. Sans doute s'imaginaient-elles que les barracudas mangent des lasagnes et des pizzas, comme le chat Garfield ?

Cette visite d’exception est une étape de choix le long de la côte Ouest. Divertissante et idéalement pensée pour les enfants.

mardi 20 septembre 2011

Big Sur

La route au long du Pacifique nous déconcerte. Nous traversons un paysage hétéroclite entre conifères et plantes grasses, horizons océaniques et crêtes escarpées, tantôt Provence, tantôt Jura. L’épais brouillard venu du large engloutit les portions basses du chemin et nous plonge dans une grisaille subite, anéantie par le plein soleil californien à la moindre ascension. Pris individuellement, chacun de traits de ce paysage nous est coutumier. Océans et côtes rocheuses, brumes, falaises et palmiers ne sont pas pour nous des motifs de découverte. Mais leur assemblage nous sidère, comme le ferait l'audacieux ouvrage d'un jardinier extravagant.

A midi nous stoppons dans un hameau au bord de la route. De là, si l'on en croit les indications placardées partout, il est possible d’observer les baleines. Nous avons beau plisser les yeux, aucun rorqual n’apparaît à l’horizon. A défaut de cétacés, nous voyons poindre un groupe d’individus soufflant sous l’effort, visiblement à la traîne d’un grand mâle marqué par l’âge. C’est une équipe cycliste caressant l’ambitieux projet de lier Monterey à Morro Bay, comme l’annonce fièrement leur maillot flambant neuf. Les athlètes empruntent la même Highway 1 qui nous a tant étonnés, avec ses courbes, ses montées ardues et descentes au cœur de nappes de brouillard. Il en faut, du courage et de la santé, pour un tel itinéraire… Après tout, Greg LeMond et Lance Armstrong sont des compatriotes.

Voir de vrais sportifs sous le joug de l’effort nous rappelle, par sincère empathie, qu’il est l’heure de déjeuner. Nous trouvons là un petit resto, avec décor de bois, réclames anciennes et pancartes vantant l’observation des baleines. L'endroit ne tient pas ses promesses. Nous sommes accueillis avec indifférence, les tables sont sales, le choix très limité et le service nerveux. Comme quoi la vie urbaine n’a pas le privilège du stress. J’avale avec humeur un steak pour une fois de mauvaise qualité. Visiteurs de passage, méfiez-vous des restaurants séduisants pour voyageurs écolos. On peut militer pour les baleines et maltraiter les convives.

La prochaine étape est une aimable promenade vers une ancienne demeure grande ouverte sur l’horizon. On imagine quelle opiniâtreté il fallut aux locataires, au début du XXe siècle, pour venir s’installer dans ce recoin grandiose et inhospitalier. Mais le principal attrait du Julia Pfeiffer Burns State Park est la fameuse cascade qui arrose du haut de ses 25 mètres une plage réputée inaccessible. Les nombreuses inscriptions imbéciles laissées sur le sable prouvent cependant que tout individu un peu borné peut aller y gribouiller ce que bon lui semble, faisant l'étalage de sa maîtrise du langage SMS en même temps que de sa propre misère intellectuelle.

Nous avons dû, pour nous garer à proximité, glisser un billet dans une urne même en l’absence du moindre ranger à l’horizon. C’est la première fois de ma vie que je voyais un parcmètre en bois brut. Le reçu du stationnement, simplement arraché au talon d’une souche de tickets, atteste mon payement. Heureuse idée de l’emporter car il offre l’accès gratuit au parc d’état Pfeiffer Big Sur.

« Big Sur » était pour moi le titre d’un roman de Jack Kerouac longtemps avant de désigner le vaste parc naturel dont les falaises tombent à pic dans les déferlantes. Nous flânons dans la nature en tâchant d’identifier les séquoias. Comme nous avons renoncé à Yosemite, voilà l’occasion d’admirer enfin ces arbres géants.

C’est avec le sentiment d’un bilan en demi-teintes que nous quittons la côte. Après la plage aux éléphants, rien de ce que nous avons vu à Big Sur et au long de la California State Route 1 ne nous a bouleversé. Le mélange des genres si étourdissant aurait dû nous séduire au plus haut point. Pourtant, ce n'est pas le cas. Malgré la révélation de paysages héroïques, nous constatons avec désappointement que le coup de foudre n'a pas eu lieu. Big Sur a tout pour lui, sauf ce je-ne-sais-quoi essentiel qui nous le ferait aimer sans réserve. Est-ce le climat trop déconcertant ? L’accueil désagréable à l’étape des baleines ? La route parfois pénible entre les étapes ? Allez savoir. Il y a des jours où Cupidon s’en fout…

Nous ressentirons curieusement la même chose avec la ville de San Francisco. Pour l’heure, nous entrons dans Monterey.

jeudi 15 septembre 2011

Éléphants de mer

Nous décrétons une étape à San Simeon. Tout nous semble fermé dans le petit village (nous y retournerons le soir venu pour y trouver, à défaut d’une bonne gargote, une obscurité à couper au couteau). Un peu plus loin, un Quality Inn nous tend les bras. Il reste une chambre libre, j’en profite pour accumuler les points sur ma carte de fidélité toute neuve « Choice privileges ». On ne sait pas trop à quoi servent tous ces programmes de fidélité, mais après tout, j’ai bien eu le billet d’avion gratuit avec Flying Blue…

L’hôtel possède une piscine et un spa très agréablement chauffé, tant le vent qui s’est levé nous glace les os.

J’ai vu la première fois Citizen Kane d’Orson Welles dans un Ciné Club. Je devais avoir dix ans, mais je me souviens encore de cette séance. Le dernier mot d’un vieil homme, Rosebud, le reportage d’actualité criant de vérité, la longue quête parmi les témoins et l’une des plus belles séquences finales de toute l’histoire du cinéma. Je me souviens parfaitement de la façon dont ce film, malgré sa durée, accapara ma jeune attention.

Tant d’années plus tard, je ne pouvais pas manquer la visite du Hearst Castle, magnifique palace des Années Folles édifié pour son plaisir par William Randolph Hearst. Ce magnat de la presse et homme d’affaires aurait, dit-on, servi de modèle au personnage principal de Citizen Kane. Par malheur, nous arrivons trop tard et ne verrons en tout et pour tout que le hall d’accueil de Xanadu. Victimes de notre désir d’improviser, nous n’avons pas pris garde aux horaires de visites. Le prochain créneau est dans près de deux heures… Que faire ? Comment nous occuper d’ici là ? Contrarié par cette occasion manquée je reprends le volant. Sur le chemin se trouve la plage aux éléphants de mer. A défaut de palace de milliardaire, nous contemplerons ce rassemblement de phoques massifs.

Ces grosses bestioles ont le don d’attirer immanquablement les touristes, aussi l’endroit est-il protégé par de solides barrières. Des pancartes fournissent des informations intéressantes sur les occupants du lieu.

La plupart d’entre eux ne font rien d’autre que d’être là, sur la plage, étalant leur ventritude au soleil. De temps à autre nous voyons un éléphant somnolent relever mollement une nageoire et entreprendre de se gratter la couenne, dans le geste le plus naturellement humain que l’on puisse s’imaginer. Un autre émerge des vagues en s’est mis en tête, allez savoir pourquoi, de traverser toute la plage. Son enveloppe de graisse l’empêche d’avancer et nous le voyons peiner, mètre après mètre, dans sa difficile progression, puis retomber comme un paquet de gélatine pour reprendre son souffle. Cinq minutes plus tard le voilà de nouveau en plein effort, tout tendu vers son but chimérique, avant de s’effondrer encore dans un gros tressautement de Flamby qu’on dépote.

Deux autres bestioles pesantes se défient avec des beuglements grotesques en exhibant leur gueule béante. Le spectacle peut durer des heures, tant nous autres humains croyons discerner dans le comportement de ces animaux nos propres travers, entre engueulades de mâles et farniente poussif. Sans parler de l’allure franchement comique des forcenés de la reptation sur le sable, quand toute nécessité semble être absente de cette expédition haletante.

Scène très plaisante, rare et éducative à la fois. Un must.

Toutefois, pour avoir eu le privilège d’avoir été coursé par un de ces gros pépères dans mes vertes années, je peux certifier que tout aspect comique s’évanouit à leur proximité. Une masse furieuse d’une tonne cherchant à vous écrabouiller en beuglant comme mille cornes de brume vous dissuade de tenter de nouveau l’expérience pendant un certain laps de temps.

Santa Barbara

Contrairement à sa réputation bétassonne, héritée de l’interminable soap opera homonyme de la Une, Santa Barbara est une très jolie ville. Nous apprécions qu’elle soit à la fois cité balnéaire et métropole vivante, avec sa grande avenue animée qui part en droite ligne de l’océan. Son front de mer, agrémenté de palmiers, héberge une plage étendue, mais presque déserte. Il faut dire que le Pacifique est froid à cet endroit. A vue de pied, malgré le soleil de juillet en plein zénith, on ne doit pas être loin des 15 degrés. On comprend mieux pourquoi les rares plagistes restent prudemment sur le sable.

Nous nous cassons la tête pour trouver un endroit où laisser la Jeep. Le stationnement est régi par des règles qui nous posent problème. Tel panneau dit que le stationnement est autorisé ici le vendredi de telle heure à telle heure. Bien, mais si l’on n’est pas vendredi, faut-il comprendre qu’il est autorisé sans limite horaire ? Ou au contraire qu’il est interdit de stationner ? Les deux hypothèses nous paraissent également valables, bien qu’elles signifient exactement l’inverse l’une de l’autre. Les voitures déjà garées sont celles de riverains munis de passe-droits, et ne nous aident pas. Finalement je choisis une rue un peu à l’écart, avec une indication de stationnement sans ambiguïté : nous disposons d’une grosse heure pour déjeuner.

Un peu sceptiques, nous décidons de suivre les conseils du Routard et nous installons au Pascucci. Le restaurant de style italien se révèle, ma foi, une excellente surprise. Pour la première fois de notre voyage nous dégustons une cuisine fine, préparée avec goût et sans cette graisse sucrée qui envahit l’ordinaire de nos repas. L’addition n’est pas plus chère qu’ailleurs. Les papilles enchantées, nous nous promenons un peu dans la cité où l’on est en train de monter des estrades pour un festival de musique. Voilà un endroit qui mériterait plus qu’une poignée d’heures. Nous nous verrions bien louer l’un de ces énormes vélos familiaux pour profiter davantage des concerts et du front de mer, parmi les skateurs survitaminés et autres rolleuses en bikini. Mais quel dommage que l’eau soit si froide…

En route ! Pour cette partie du séjour, nous avons préféré ne pas réserver d’hôtel. Nous voulions laisser une chance à l’imprévu. Après tout la route vers San Francisco recèle bien quelques merveilles où nous pourrions passer la nuit. Allons à Los Alamos, par exemple. Patelin « minuscule mais d’une certaine manière incontournable », dit notre guide dans son style inimitable. Sans doute insensibles à cette « certaine manière », nous ne trouvons à l’endroit dit qu’une insipide réplique des bourgades de l’Arizona et cherchons en vain une raison de s’exalter. Sommes-nous blasés ? Peut-être aurions-nous été séduits, en commençant notre circuit par ici, au lieu de le terminer après avoir vu Seligman et Kanab… Pour ne pas être venus pour rien, nous faisons le plein. Curieusement, je retrouve quelques Français à la caisse. Ils sont tous rendus ici, je me le figure assez bien, par la grâce concentrique des bons tuyaux du Routard.

Le chemin rejoint la mer. La côte, aux rochers battus par de grosses vagues, nous paraît plutôt évoquer l’Irlande que la Californie. Nous faisons des arrêts pour profiter de ce panorama inattendu, rendu encore plus bizarre par la couche de brouillard dense que nous voyons émerger du Pacifique. Je m’étais souvent demandé comment les amateurs de cyclisme locaux pouvaient pratiquer leur sport sous le climat d’une contrée « chaude comme un four ». Je crois comprendre que la chaleur n’est pas ici un phénomène impérieux. Nous assistons en ce moment même au début d’un très long crépuscule préludé par le brouillard maritime qui envahit insensiblement le continent. Bientôt, je dois allumer les feux.

mercredi 14 septembre 2011

Mangez-moi

La voie vers le quartier bas est ouverte ! Le chemin vers l’escalator nous offre une jolie vue sur la ville. Arrivés au Lower lot, nous embarquons dans la première barque pour la visite du parc aux dinosaures. Le tour commence classiquement, au son de l’insignifiante musique de John Williams, par les grands herbivores. Plastiquement, de la belle ouvrage. L’affaire se gâte avec les premiers velociraptors et dilophosaures en liberté se disputant des restes de touristes (popcorns, ponchos et oreilles de Mickey) dans des barques accidentées. Comme dans le film, le tour se transforme en cauchemar, le chasseur en chassé, etc. Des T Rex de plus en plus gros et de plus en plus méchants pimentent l’expédition jusqu’à la chute finale.

Notre second choix se porte sur le Simpsons Ride. Nous voilà dans une navette montée sur vérins, qui s'agite au gré du grand huit conçu par l'horrible Krusty, de surcroît saboté par Tahiti Bob. Nous adorons les Simpsons, mais nous ressortons de là sur les genoux. L’attraction nous a baladés entre sensations de mort imminente et agressions visuelles en tout genre. Nous ne nous attendions pas à cela, l’humour de cette série étant plutôt de nature intellectuelle que virtuose. Vite, de l’air.

Nous optons ensuite pour le tour des studios, au prix d’une longue queue – l’affluence est là désormais. Longue mais pas insupportable, car mine de rien nous avançons sans arrêt. La file d’attente est conçue de sorte qu’on a toujours la certitude de progresser, même s’il y a des centaines d’amateurs devant vous.

Curieux tour des studios, qui mêle habilement information et divertissement. Nous passons devant les baraques de producteurs, déjà vues dans The Player de Robert Altman, puis devant le décor de Retour vers le futur et du tout récent Cowboys & Aliens parmi d'autres merveilles du 7e art.

Comme dans un cauchemar de Borges, l'envers du décor est à son tour un décor. Notre mini train devient lui-même objet de l’attraction : l’inondation d’une station de métro le touche de plein fouet (étant aux premières loges, si je puis dire, et tout juste séché de l’épisode Jurassic Park, je fus très heureux d’en reprendre une couche), nous avons été poursuivis par Norman Bates et Bruce, le squale des Dents de la mer, puis secoués par le combat entre King Kong et trois tyrannosaures alors qu’une tarentule géante voulait boulotter le mini train.

Il y a des jours comme cela où tout le monde veut vous manger.

La visite d’une scène de la Guerre des mondes, avec son véritable Boeing déchiqueté encore fumant, reste à mon avis le moment le plus fort. Cela ne m’empêche pas de songer qu’une bonne partie des films évoqués sont avant tout des blockbusters bien calibrés et destinés aux bouffeurs de pop-corn, loin de l’âge d’or d’Hollywood avec ses classiques dérangeants, sans effets spéciaux ni grosses bébêtes gastronomes.

Nous renonçons à la Momie dont nous n’apprécions pas les invasions de blattes et les macchabées de poussière parmi d’autres aspects glauques. A deux pas d’ici, un petit musée présente du matériel historique. Je lis avec plaisir d’authentiques lettres adressées à Alfred Hitchcock. Avant de reprendre le chemin du retour, nous refaisons un passage chez les dinosaures du parc jurassique.

Demain nous quitterons Los Angeles. Nous sommes déçus (surtout moi) mais conscients de n’avoir presque rien vu de cette ville gigantesque. Depuis que nous avons remis les pieds à Las Vegas et son navrant Circus Circus, nous côtoyons l’Amérique ordinaire – oserai-je écrire « vulgaire » ? Où es-tu, Ô douceur angeline ?

Encore une nuit et nous reprenons le chemin. Direction San Francisco, en prenant notre temps.

Aux studios !

Alors que la barque où nous sommes coincés s’élève cran par cran dans un tunnel dégoulinant et incendié par des gyrophares, le plafond s’ouvre et laisse apparaître un tyrannosaure aux intentions franchement malveillantes. Un tambour crescendo entretient le stress avant que tout ne se résolve dans une brusque glissade couronnée par une magnifique gerbe d’eau. Nous voilà proprement détrempés sous l’œil goguenard des spectateurs du Jurassic Park. C’était bien la peine d’ironiser sur ces pauvres touristes vus à Page… Je jette un œil à Alexandra. Malgré les angoisses du tour et la douche finale, elle n’a pas l’air du tout traumatisée, si j’en juge par sa jubilation. Voilà qu’elle en redemande ! Bon, c’est déjà ça, l’attraction lui a plu. La journée est sauvée.

Dès la veille, je me suis renseigné à l’hôtel sur les réductions pour la visite. « No problem », me dit l’employé d’accueil. Il suffira de nous faire passer pour des accompagnants d’une famille d’Angelenos. Comment cela ? C’est simple, explique-t-il. Les gens d’ici ont droit à une réduction dont ils peuvent faire profiter leurs invités. Alors, mettez-vous à l’entrée du parc, et attendez qu’une voiture locale s’approche. Il suffira de lui demander de vous déclarer comme ses invités, et vous aurez droit à des entrées moins chères. Vous n’aurez aucun problème, les gens d’ici sont sympas, comme moi.

Mouais… je pressens une combine bancale. Je sais déjà que nous allons payer le prix fort plutôt que de tenter le coup avec des inconnus. Cependant une question me taraude : comment reconnaître de véritables habitants de Los Angeles ? Mon interlocuteur affiche un large sourire : rien de plus facile, they are like me !

Cela fait deux fois qu’il prononce cette phrase. Pourtant l’homme qui me parle est natif du golfe Persique et n’a rien d’un WASP. Je ne ressens nulle ironie dans son discours. Il est visiblement fier d’appartenir à son pays d’accueil et se considère sans aucune ambiguïté comme authentique Angeleno. Je comprends qu’il y a là quelque chose qui m’échappe, un sentiment d’appartenance à la communauté plus profond que je ne l’aurais imaginé.

Ce matin nous payons donc le plein tarif et pénétrons un parc encore désert. Du moins jusqu’à un certain point au-delà duquel l’accès est restreint. La foule se presse contre cette limite en attendant l’ouverture. Nous avons droit à un discours de bienvenue puis, quand retentit la fameuse fanfare d’Universal, les barrières s’ouvrent. Vite, aux dinosaures ! Notre objectif est de faire l’attraction le plus rapidement possible pour échapper à la cohue. Malheureusement l’accès au parc jurassique n’est pas encore ouvert. Un senior nous explique qu’il faut encore patienter et nous invite à faire d’autres manèges en attendant. Pas question, nous attendrons.

Nous observons du coin de l’œil ce vieux monsieur employé du parc. Nous ne sommes pas habitués à voir des personnes âgées en plein travail, quand chez nous elles sont à la retraite. Cela semble assez fréquent en Amérique. Il faut bien le dire, ces personnes ne semblent pas particulièrement malheureuses et n’ont de toute façon rien du pépé rabougri. Faut-il préférer ce genre de petit boulot à une retraite misérable ? En réalité, même si a priori l’idée de travailler si vieux nous choque, nous ne savons quoi penser.

dimanche 11 septembre 2011

Un jour à LA

Nous voici au Pig'n whistle, restaurant d'Hollywood Boulevard plutôt accueillant avec son décor de bois. Après deux heures de plein soleil sur une banquette synthétique, la lumière tamisée nous fait un bien fou. Sur chaque mur, des écrans plats diffusent la finale de la coupe du monde de football féminin. Nous ignorions à quel point le public ici suit son équipe nationale de soccer. Depuis quelques jours, impossible d’ignorer l’événement, à la une des journaux au même titre que le règlement de la dette. Il est bien connu que dans ce pays c’est avant tout un sport que les filles apprennent à l’école. Nous assistons à la défaite des Américaines contre le cours du jeu, bien contrecarrées par une équipe japonaise opportuniste.

Dans un souci de chasse aux calories j’ai commandé une salade. Précaution inutile, elle arrive recouverte d’une couche de tacos baignés dans un fromage fondant bien gras.

Pas très loin d’ici, sur le Boulevard du Crépuscule, se trouve selon notre guide favori un magasin nommé « Amoeba music ». Mon dictionnaire m’apprend qu’« amoeba » se traduit par « amibe ». Etrange nom pour une chaîne qui se présente comme « the World's Largest Independent Record Store ». Une sorte de FNAC alternative, me dis-je en poussant la porte du magasin.

Me voici aussitôt dans une sorte d’immense hall de gare. La clientèle hésite entre amateurs de piercings aux cheveux jaunes et gothiques au teint pâle. Pour l’atmosphère feutrée et bobo de la FNAC, on repassera. Y a-t-il au moins un rayon musique classique ? Oui, là-bas, tout au fond. J’y trouve enfin du consistant : Leonard Bernstein et William Schuman, Ferde Grofé avec notamment la Death Valley Suite dirigée par le compositeur. Et un CD de compilation de Morton Gould, connu de tous les Français de ma génération grâce au générique des Dossiers de l’Ecran qui terrifiait tant le gamin que j’étais. Tout cela est vendu d’occasion, à moins de 4 dollars l’article. Je constaterai à l’écoute que la qualité des CD est irréprochable.

L’après-midi à Los Angeles se poursuit par du shopping. Rien de lourd, seulement quelques emplettes de babioles pour offrir à notre retour. Nous imaginions le cœur d’Hollywood comme une sorte de Champs-Elysées tropicaux, avec de luxueuses boutiques invitant les flâneurs au lèche-vitrine. Nous nous retrouvons dans la Goutte d’Or avec des palmiers. Foule agitée et criarde, magasins de pin’s et tee-shirts, commerçants désinvoltes, circulation automobile intense. Nous voyons plusieurs personnes fouiller les poubelles.

Seule éclaircie après Amoeba Music, un magasin dédié à la pinup Betty Page. Rien de vraiment sulfureux ici, mais un lieu tranquille et évocateur avec ses collections vintage du plus bel effet. Des mères de famille bon teint y examinent avec intérêt des robes sages ou glamour. Voilà donc la scandaleuse playmate des années 60 devenue l’icône du bon goût.

Pour balancer le mauvais moment de la visite en minibus, nous avons promis à Alexandra un tour aux Studios Universal. Il y a une attraction avec des dinosaures, et notre fille adore les dinosaures. Nous craignons juste qu’elle soit trop petite et qu’elle ne soit traumatisée par ces grosses bêtes articulées avec leurs dents pointues…

Heureusement il y a aussi le Simpsons Ride qui, pensons-nous alors, nous permettra de revenir à un rire salutaire. Nous nous trompions. Avec l’insouciance de l’ignorance, nous nous apprêtons à un réveil tôt. Demain, nous serons les premiers à entrer dans le parc des studios Universal.

mardi 6 septembre 2011

Beverly Hills

Le minibus sans toit offre une splendide vue sur les longs palmiers d’Hollywood. Curieux arbres, avec leur tronc interminable surplombé d’un petit panache de palmes. Nous les voyons défiler au-dessus de nos têtes alors que le véhicule s’approche du quartier des stars. Notre chauffeur, Alan, sert aussi de guide. Il parle beaucoup et avec enthousiasme dans un micro-cravate. Nous entendons son verbiage à travers un casque audio.

Bientôt nous voilà à Berverly Hills. Le quartier est très vert, si vert que la végétation cache par son épaisseur la vue que l’on pourrait avoir sur les résidences. De temps à autre le bus stoppe et nous apercevons, à travers un petit espace dans les frondaisons, un peu de mur blanc avec un œil de bœuf surmonté d’un morceau de toit rouge, bref un bout de villa. C’est là qu’habiterait, ou aurait habité, une actrice dans le vent ou un chanteur à succès. Alors, chacun brandit son appareil et photographie le petit bout de villa. Le bus repart et s’arrête bientôt devant un portail. Attention, pas n’importe quel portail : derrière celui-ci se trouve la somptueuse propriété de telle star, avec escalier de marbre, ses vingt-huit chambres et sept salles de bain. Alors, tout le monde brandit de nouveau son appareil et photographie le portail.

Je me demande ce que les touristes feront avec ces photos. Rentrés chez eux, ils les présenteront à leurs amis et collègues en expliquant que se trouve, derrière cette bête plaque de fer forgé, la somptueuse propriété de telle star, avec escalier de marbre, ses vingt-huit chambres et sept salles de bain ? Y mettront-ils au moins le même enthousiasme que notre guide visiblement transporté par toutes les merveilles invisibles qu’il nous décrit par le menu, comme s’il en était le secret architecte ?

Le minibus croise le chemin d’une dame d’un certain âge. Elle promène simplement son chien. Alan (sournois personnage) ralentit insensiblement, et voilà vingt objectifs nerveusement pointés vers la pauvre dame, aussitôt numérisée en milliards de pixels. Vous voulez répandre votre image aux quatre coins du monde ? Emmenez Mirza faire ses besoins à Beverly Hills.

Cette première partie nous a donc présenté quelques murs, beaucoup de haies, et des portails célèbres. Le quartier est calme, certes, et plutôt agréable, il faut bien le reconnaître. Je ne sais pas à quoi je m’attendais en achetant le billet pour cette coûteuse expédition, mais certainement pas à me faire transporter entre murs, haies et portails au son d’un commentaire exalté.

Le guide décrète que nous avons eu notre content de visions de rêves à Beverly Hills et dirige tout de go son véhicule vers un quartier résidentiel voisin. Il s’arrête devant quelques villas en nous demandant de regarder comment sont ornés leurs jardins. Ici, une haie en forme de voiture, là, un buisson taillé en lama, et ainsi de suite. Je me demande s’il ne va pas poursuivre en nous présentant des collections de nains de jardin en salopettes, avec brouettes et bonnets rouges. Une voiture particulière, mécontente des arrêts fréquents de notre bus, réclame le passage et finit par nous doubler avec un bref coup de klaxon. « Oh, you know, people here… They really hate us », nous confie Alan dans un accès de franchise. Je pense qu’il est dans le vrai, tant moi-même pense saisir les raisons de cette haine.

Nous continuons le périple par le quartier commerçant. Rodeo drive, ses boutiques de luxe avec sa clientèle argentée, ses tarifs exorbitants et ses parcmètres qui acceptent les cartes de crédit. Je tends le cou pour voir si les consommatrices du coin ressemblent à Julia Roberts, mais je vois surtout des femmes voilées.

Le minibus s’oriente enfin vers les hauteurs de la ville. Nous traversons des quartiers qui nous font penser au film La défense Lincoln. Enfin le véhicule s’immobilise. En face de nous, à flanc de colline, les lettres toutes blanches H O L L Y W O O D. « Le symbole le plus photographié au monde », tonitrue Alan dans mon casque comme s’il découvrait à l’instant même le célèbre alignement.

Le minibus nous laisse dans un parking quelque part derrière le Théâtre Chinois. C’est l’heure du déjeuner. Nous avons faim, le soleil a tapé très fort, et Alexandra s’est ennuyée pendant toute la visite. Ce n’est pas un bon moment pour les enfants. Et si on me demande mon avis, pour les adultes non plus.

dimanche 4 septembre 2011

Hollywood

Nous faisons quelques pas dans le quartier. J’ignore pourquoi en Amérique l’éclairage public paraît faiblard, toujours est-il que la pénombre de cette ville inconnue ne nous incite pas à nous éloigner de l’hôtel. Une petite place à deux pas de là offre quelques restaurants rapides de cuisine exotique. Je note la présence sur le parking d’un cabriolet occupé par une caricature de Marylin Monroe dans Sept ans de réflexion : même « Subway dress » blanche plissée, mais la plastique de Lova Moor. Étrange mariage entre le sexy chic et le vulgaire… Dans le fast food thaï que nous choisissons, nous trouvons une créature au maquillage outrancier juchée sur des talons démesurés. Mais ce n’est pas un travesti, simplement une habitante du coin qui se promène ainsi, de la façon la plus naturelle qui soit. Pour la première fois, j’ai l’impression de voir une femme déguisée en drag queen. Il faut se rendre à l’évidence : nous ne sommes plus chez les Mormons.

La cuisine est plutôt savoureuse quoi que trop copieuse, comme d’habitude. Je note que tous les convives possèdent un ordinateur portable et qu’ils l’utilisent couramment à table. Los Angeles offre toutes les apparences d’une cité branchée. Ce n’est certes pas une surprise.

Au petit matin, nous rejoignons Hollywood Boulevard à pied. Depuis le Comfort Inn, c’est l’affaire de dix minutes. Contrairement à ce que nous imaginions, le trottoir n’est pas décoré par les traces de mains des célébrités, mais par des étoiles. Chaque étoile est associée à une vedette du cinéma, de la musique, de la radio, de la télévision ou du théâtre. Voilà donc le Walk of Fame si renommé. Quelques noms sont connus, pour le reste, il faudrait chercher dans les encyclopédies. Par un curieux hasard, nous trouvons l'étoile de Broderick Crawford, nous faisant ressouvenir du déjà lointain séjour à Kanab. Nous commençons à photographier quelques étoiles mais la tâche s’avère rapidement inutile (elles sont toutes identiques au symbole et au nom près) et fastidieuse (plusieurs milliers d’étoiles).

Nous voici enfin devant le Grauman's Chinese Theatre. Il s’agit d’un cinéma décoré à la façon chinoise. Sur son esplanade se trouvent les traces tant convoitées. Je suis surpris de ne ressentir aucune émotion. Je ne vois là que de minuscules empreintes dans le béton, sans charme particulier, et cela m’agace de voir se côtoyer légendes du 7e art et phénomènes de mode. Comment a-t-on pu faire voisiner l’immense Cary Grant et les pénibles personnages de Star Wars, comme s’il s’agissait de véritables acteurs, et comme si La guerre des étoiles était un authentique chef d’œuvre ? Que fait le génial Groucho Marx sur le même plan – c’est le cas de le dire – que Daniel Ratcliffe ? Je navigue entre les déconvenues. Je trouve Steven Spielberg, mais pas Orson Welles, Woody Allen ou Milos Forman… et pour cause, ils n’y sont pas. L’esplanade est envahie de touristes excités qui, c’est un comble, piétinent allègrement les témoignages imprimés dans le sol en s’interpellant les uns les autres.

Fuyons. Mini appareil photo discrètement calé au creux de la paume, je m’approche d’une doublure de Catwoman pour faire quelques clichés de la sculpturale créature. Mais je tombe sur plus fort que moi. La fausse actrice tend un doigt vers mon objectif qu’elle a aussitôt repéré et me fait explicitement comprendre qu’elle ne tolère aucune photo. A sa véhémence elle croit bon, en me tournant ostensiblement le dos (qu’elle a pulpeux), d’ajouter un geste injurieux. Pourtant, c’est bien connu, « l’insulte ne déshonore que son auteur ». J’en déduis que Catwoman n’a pas lu Confucius.

Notre premier contact avec Hollywood a tout de la douche froide. Pas question de rester sur une impression défavorable, nous prenons place dans un mini-bus pour visiter les beaux quartiers avec les villas des stars. Beverly Hills, nous voilà !

vendredi 2 septembre 2011

Désenchantement, la suite

L’autoréférentialité du nom « Circus Circus » me met la puce à l’oreille. Je me demande en un éclair d’ironie si les fondateurs du casino n’ont pas voulu rendre un hommage au Festivus Festivus de Philippe Muray. Le jouir sans entraves de cette euphorie perpétuelle n’est-elle pas incarnée en ce lieu même par celui qui cirque qu’il cirque ? Quelle meilleure tactique que le confuso-onirisme végasien pour enterrer les restes de l’Histoire au son des machines à sous, et célébrer ainsi le règne du mort-vivant infantile et voué à le rester, monstrueusement enfanté par le nouveau millénaire au beau milieu des vivats ?

Un cri de mon estomac met fin à cette digression involontaire de mes neurones. On a beau s’interroger sur la post-histoire, il faut bien s’alimenter. Un premier restaurant est fermé. Ou plutôt non, il est grand ouvert, mais vide. Personne à table, personne derrière le comptoir, aucun serveur, aucune explication, seule la vacuité d’une salle illuminée et sans vie.

Nous fuyons cette scène de cauchemar en nous réfugiant dans un Mexicain rapide. Mauvaise pioche, la foule s’y presse déjà et l’attente s’annonce longue… Nous goûtons sans plaisir les plats qui nous sont enfin desservis. Chers et sans saveur : décidément, le Circus Circus a tout pour plaire ! en quittant le restaurant je feins une douleur au ventre pour alerter les amateurs de la file d’attente. Mon jeu de benêt apostrophe un Américain entre deux âges : « Hey, do you mean the food is really bad here ? » « worst than that », répliqué-je, heureux d’avoir été compris. Comment la pantomime vient au secours de la gastronomie !

Rendre la voiture à Alamo est un jeu d’enfants. Nous arrivons dans le parking du loueur où un agent examine brièvement le véhicule, appuie sur un bouton de son terminal portable et me tend une facturette. « That’s all right. You can go. » Adieu, Dodge Nitro aux chromes enchanteurs, tu buvais beaucoup mais nous t’aimions bien. Ce soir nous dormirons à Los Angeles.

A la cité des Anges nous attend une autre voiture de location. Nous la rendrons directement à l’aéroport de San Francisco : en Californie, les frais d’abandon sont offerts, profitons-en ! Le choix du modèle est plus mince, au propre comme au figuré. Nous repartons au volant d’une Jeep Patriot. Ce n’est pas un monstre comme la Dodge, mais un solide 4x4 à l’électronique moderne, mieux adapté à la ville.

Les abords de l’aéroport sont sans charme particulier. Nous longeons immeubles de bureau et habitations prosaïques au fil du trajet vers l’hôtel. Pour celui-ci, nous avons cassé la tirelire et aligné les dollars : le Comfort Inn Near Walk of Fame se trouve au cœur même de Hollywood, sur le Sunset Boulevard si cher aux vrais cinéphiles.

Je m’impatiente à découvrir ce quartier mythique tant la banlieue sans fin que nous n’en finissons pas de traverser me pèse, quand le GPS m’arrache à mes pensées. « Vous êtes arrivés », énonce l’engin. Comment cela, voyons donc, le TomTom a dû se tromper. Cette avenue sombre et bétonnée ne saurait être le Sunset Boulevard, n’est-ce pas ? Et l’hôtel si onéreux de nos rêves se serait transformé en cette sorte d’Ibis de périphérie, aux murs défraîchis ?

Nous devons nous rendre à l’évidence. Hollywood n’est pas le lieu chic et choc que nous convoitions. Peut-être demain, la visite de l’avenue des stars et des quartiers résidentiels sous un soleil radieux nous fera changer d’avis. Pour l’heure nous nous mettons en quête d’un endroit pour le dîner.

Retour vers l'enfer

Nous bouclons notre première partie du séjour par un retour à Las Vegas. De là, nous prendrons l’avion pour Los Angeles. Le temps des parcs nationaux, des arches de pierre et cheminées de fée est désormais derrière nous… En chemin, nous faisons une halte dans la ville de Saint George, au sud de l’Utah. Je me dirige vers ce que j’identifie enfin comme une grande librairie. Je me rends vite compte que le commerce tourne autour de trois thèmes : God, Son et Holy Spirit. Tous les livres sont soit la Bible, soit des commentaires de la Bible, soit des résumés de commentaires de la Bible. Même au rayon Enfants, je vois des épisodes de la Genèse sous forme de comics ou dessinés à la façon Disney.

J’aperçois enfin un stand Classical Music. Je dois vite déchanter : il n’y a pour ainsi dire que des hymnes ou des transcriptions grand public de chansons d’église chantées par des cowboys à chapeaux blancs. Je déniche à grand- peine un recueil de chorales par le Mormon Tabernacle Choir avec accompagnement d’orchestre symphonique. Une bonne surprise n’est pas à exclure, le chœur de Salt Lake City étant l’un des plus renommés qui soient, même si je n’imagine que trop bien les arrangements consensuels et insipides que je trouverai sur la galette. A défaut de vraie musique classique, le CD rejoindra ma collection pour témoigner de mon passage dans l’Utah et de mes vains efforts pour assouvir ma curiosité intellectuelle.

Midi approche quand la silhouette de Las Vegas apparaît au loin. Notre projet est de déjeuner dans un dinner vers la tour Stratosphere, puis de nous rendre à l’aéroport remettre la Dodge et attraper notre vol. En chemin nous longeons par hasard le Circus Circus avec son dôme en forme de chapiteau. C’est l’un des seuls casinos que nous n’ayons pas exploré en raison de son éloignement du Strip. Voilà l’occasion de parfaire notre expérience de Vegas. Nous changeons illico presto de plan et décidons de visiter le Circus Circus.

L’entrée du casino est si mal indiquée que nous croisons plusieurs fois des groupes de Chinois en quête de repères. Le parking est en travaux et personne n’a jugé bon de signaler les chemins de rechange pour accéder à l’entrée piétons… Nous finissons par l’identifier à la cohue des allées et venues. Après une semaine de grands espaces et de nature, la foule nous agresse comme une décharge de taser. La thématique du Circus Circus est parfaitement claire : fête foraine, grosse rigolade et montagnes de barbapapa.

Dès mon entrée dans le palace, je me sens l’âme du homard plongé dans le bouillon. Je retrouve en un éclair mes pires appréhensions du Las Vegas redouté avant le voyage. L’endroit est engorgé de sons agressifs et soumis à un féroce éclairage. Le décorum bariolé fait mal aux yeux, alors que la fête foraine vomit décibels saturés de hurlements. Des frères d’infortune qui crient leur mal-être devant cet étalage quasi-pornographique ? Hélas non, il s’agit simplement d’amateurs chavirés par des manèges virevoltants.

Quelques pas me mettent, pour la première fois en Amérique, en présence de la racaille. Le terme est peut-être excessif, je l’accorde, mais telle est l’impression que je ressens alors face à la brochette de blousons de cuir aux mines fermées, fermement campés sur leur territoire en marge des festivités, attendant on ne sait quoi ou on ne sait qui en scrutant la foule. Nous ne nous attardons pas pour approfondir l’observation.

jeudi 1 septembre 2011

De Zion à Bryce

Nous avons choisi Kanab pour sa proximité avec des endroits remarquables. Ainsi pouvons-nous facilement nous rendre au parc national de Zion. Sion, la Jérusalem biblique, la rivière Virgin, les rochers des trois Patriarches rappellent, s’il en était besoin, que nous sommes bien chez les Mormons. La grande question demeure : après le Grand Canyon, allons-nous encore être surpris ? Voir des tas de pierres, après tout, quel intérêt ?

Nous laissons la voiture dans un parking à l’entrée du parc. La visite se fait en bus écologique. Le circuit dessert différentes étapes avec des promenades, des endroits pour se restaurer ou contempler la nature. Nous descendons au cœur du parc. La différence avec le Grand canyon est manifeste : ici à Zion, nous sommes dans le canyon, dont nous contemplons les murailles de part et d’autre. Nous voici donc au bas de toute chose, hôtes d’un monde secret où nous berce le chant bienfaisant d’une rivière. Nous la traversons avec un pont de cordes. D’inoffensifs geckos fuient à notre approche, alors que dans les bosquets luxuriants nous devinons la vigilance empressée d’écureuils insatiables. Partout, des pancartes invitent à ne pas les nourrir, ne serait-ce que pour éviter les morsures. Il nous paraît évident que l’endroit révèle sa splendeur aux promeneurs attentionnés et affranchis de l’impérieux devoir touristique de tout faire à marche forcée. Faire le Grand Canyon, faire Monument Valley, faire Zion dans l’attente de faire Bryce et la côte Ouest, très peu pour moi. Le simple fait d’être là est déjà en soi un incommensurable privilège dont je m’efforce de savourer la quintessence.

Aller à Bryce, pour quoi faire ? Nous avons vu le Grand Canyon depuis le haut, et celui de Zion depuis le bas. Que nous manque-t-il à présent ? Et puis, Bryce, est-ce une dénomination convenable pour un parc national, je vous le demande… Le Désert de la mort, voilà un nom comme il se doit, avec son cortège d’images d’os blanchis et de crânes cornus se décomposant au soleil. Mais quelle image s’impose à vous quand on parle du canyon de Bryce ? C’est bien simple : si l’on excepte éventuellement les portraits de Lalonde ou Hortefeux, aucune.

L’endroit, pour une fois, se visite en voiture. Pas de parking obligatoire ni de navette au gaz pour rallier les différentes haltes du circuit. Nous découvrons une verte vallée offerte jusqu’aux confins du monde. Si canyon il y a, il est si large que seule l’imagination peut se le figurer. Le parc national de Bryce propose une collection insolite de paysages variés, bois de conifères, océans de sable et nappes de rochers ocres. La grande curiosité demeure les hoodoos, curieuses cheminées de pierre engendrées par l’érosion et droites comme des alignements de points d’exclamation. A chaque arrêt, une nouvelle perspective vient enchérir sur l’impression précédente. Nous négligeons à regret les chemins de randonnées prometteurs mais trop exigeants pour les jambes fragiles de notre enfant.

L’endroit est différent de tout ce que nous avons déjà vu. Il tranche sur Zion par son amplitude. Peu de chance ici de se retrouver au même endroit que tous les autres promeneurs tant l’espace est ouvert. Bryce mérite bien plus qu’une journée, nous nous promettons de revenir lors d’un prochain voyage explorer vallées enchanteresses parsemées de cheminées de fées.

Âmes et spiritueux

Plus bas en ville, je remarque la pancarte d’une brocante. La boutique se trouve un peu à l’écart, dans une maison de taille moyenne. Le propriétaire tiré de sa somnolence par mon irruption m’accueille par une plaisanterie de bienvenue. Je ne sais pas ce qu’il m’a dit, certainement un jeu de mots que mon anglais de cuisine ne me permet pas de comprendre. « Ce n’est pas grave, vous chercherez dans le dictionnaire », ajoute le gérant malicieux, avant de m’inviter à explorer le lieu. Il se renfonce dans son siège et se rendort aussitôt. J’aime les brocantes. Celle-ci a tout du grenier d’une Grandma : vieux jouets, armes décoratives, robes des temps jadis, publicités des fifties… J’aimerais ramener de belles assiettes ornées de dessins naïfs, mais je crains qu’elles ne résistent pas au voyage. Je repars avec une authentique plaque minéralogique aux armes de l’Utah.

Nous visitons le musée de la ville. Une nouvelle fois nous observons que le mot de « musée » est trompeur. Ici, pas d’objets exposés sous verre que l’on contemple pour tromper son ennui. La vaste salle tient à la fois du bazar et de la bibliothèque. La mémoire de la ville y est entreposée. Les archives scolaires côtoient relevés cadastraux, drapeaux et uniformes de parade. Le visiteur a accès à tout. Je consulte un recueil de correspondance. Il s’agit de véritables lettres des années de guerre, écrites depuis l’Europe en feu par les jeunes recrues du pays. J’ai l’impression de fouiller dans des affaires privées tant la correspondance touche à l’intimité des familles. Et pourtant non, je suis bien dans un musée où chaque pièce est dûment répertoriée. L’attachement à la nation, si étonnante pour nous Français qui tenons le patriotisme en piètre estime, surgit du moindre détail. Etoiles, bandes de couleur qui représentent les treize états fondateurs, pygargues à tête blanche sur fond rouge sont partout pour rappeler que nous sommes « sur la terre de la Liberté et la patrie des braves. »

Le Routard énonce doctement que la ville étant située dans l’austère Utah, toute vente d’alcool ne saurait se faire que dans des lieux sévèrement contrôlés. J’ignore sous l’emprise de quel stupéfiant ce chapitre a été rédigé et par quelle aberration il a pu passer les différents stades de contrôle avant publication, car il suffisait de visiter le supermarché du coin pour trouver bouteilles de vin californien et packs de bière impeccablement alignés. En guise de pièce à conviction, je photographie les bouteilles sous le regard des clients amusés.

Je remarque qu’une des bières porte le curieux nom d’Evolution Amber Ale. L’étiquette représente le dessin classique du primate adoptant la station debout puis transformé en homme, ici en train de boire un bon demi. Un sceau précise avec humour : « créé en 27 jours, pas en 7. Darwin approved ». Cette marque a été imaginée précisément pour railler l’obscurantisme des Mormons qui envisagent de bouter Darwin hors de l’école. La simple existence de cette bière démontre, n’en déplaise à certains, que l’Utah n’est pas l’endroit totalitaire que certains esprits bien intentionnés vous vendent, et que la fronde démocratique s’y exerce avec verdeur.

Toc et légende

La ville de Kanab pose une incessante question au visiteur de passage. Sommes-nous dans un décor complaisant ou dans la réalité ? Est-là un miroir aux alouettes destiné à éblouir le gogo, ou une authentique cité de l’Ouest ?

La ville est un décor. L’imposante boutique de souvenirs flanquée d’un grizzli en bois massif et d’un indien statufié plus toc que nature ne laisse pas de place au doute. L’endroit est abondamment desservi par des autocars de touristes venus faire le plein de babioles pseudo-navajo ou incontestablement westerns made in China. Au beau milieu des rayonnages, on entend dans le français le plus courant des exclamations sur le prix bon marché des Levi Strauss. Chaque trottoir est muni d’un cadre de bois semblable à ceux qu’utilisaient les cow-boys pour attacher leurs montures avant de se rendre au saloon. Partout, de petits écriteaux racontent la vie d’un acteur venu jadis jouer dans quelque movie périssable. Un peu plus loin, nous visitons un véritable décor de cinéma. Nous sommes dans le faux érigé au rang du réel. L’une des tables exposées a appartenu, dit-on, à Buffalo Bill. L’inventeur du western, cette chanson de geste d’une histoire fantasmée, était aussi un homme d’action, vengeur de Custer et massacreur de bisons. Légende et histoire deviennent à ce point inextricables.

La ville est authentiquement américaine. Ces vieux messieurs qui se baladent stetson sur la tête ne jouent pas un rôle. J’entre dans la boutique de photos pour nettoyer mon capteur. Le propriétaire est un old timer au visage marqué par le soleil de l’Utah. Sa large moustache et son chapeau à bords relevés rappellent les plus belles gueules photographiées par Robert Clark dans son exploration de l’Amérique profonde. Sans fioritures il m’annonce son aversion pour l’univers de la photo numérique avant de me vendre comme à regret un kit de nettoyage. Sa boutique est remplie de matériels hétéroclites, objectifs de l’autre millénaire, trépieds, guitares, poupées et partitions musicales. A Alexandra en arrêt devant une statue grandeur nature du Coyote de Road Runner (Bip Bip), il déclare : « C’est mon personnage favori. Malgré tout ce qu’il vit il essaye encore et encore. He never gives up. » Par la façon dont il énonce ces mots, je devine qu’il s’agit là d’une véritable profession de foi. Il répète : « Never give up. » S’accrocher coûte que coûte à cette petite ville entourée par la nature, inondée de soleil l’été et l’hiver isolée par la neige. Refuser le monde froid du digital. Ne pas céder aux simagrées du monde moderne. Regarder les autocars de visiteurs comme de simples événements épidermiques qui n’altèreront jamais l’âme de la cité. Un parfum d’éternité émane de cette boutique ancrée dans l’histoire.

Kanab

Une énorme lettre K marque de sa blancheur la colline voisine. Kanab s’annonce ainsi de loin aux visiteurs terrestres et aériens. Le Parry Lodge, belle maison coloniale qui rappelle Gone with the wind, se trouve à l’endroit où la route principale s’incurve vers la gauche. Le hall d’accueil est décoré par une multitude de clichés d’acteurs venus ici même tourner des centaines de westerns. Beaucoup de portraits sont dédicacés, mais les noms ne me disent pas grand-chose. Je note qu’au-dessus du passage vers les cuisines, quelqu’un a fixé une photo d’Annie Girardot, avec ces simples mots : « 1931 – lundi 28 février 2011. 79 ans. Bon voyage Annie, we will never forget you ». Les amateurs de cinéma du coin savent donc regarder au-delà de leur production locale. Un pied de nez aux contempteurs de l’Amérique profonde et évidemment inculte.

Notre chambre se trouve dans l’une des habitations qui cernent un grand espace derrière l’accueil. Nous serons protégés des nuisances sonores de la route. Au centre de la place, une vieille grange (Old barn) héberge un cinéma où chaque soir la direction projette un western tourné dans la région. Les séances sont gratuites pour les hôtes.

Nous héritons de l’habitation baptisée « Broderick Crawford », un obscur acteur des années 1950 (qui devait tout de même tourner avec Fellini dans Il Bidone). Un grand lit, un bureau, une salle de bains, une télévision. Pas de réfrigérateur, mais l’accès au distributeur de glace est gratuit. Nous garderons ainsi bien au frais dans une poche isotherme nourriture et boissons.

Le Parry Lodge possède une histoire similaire à celle du Goulding’s Lodge de Monument Valley. Les époux Parry s’employèrent à faire venir les vedettes de Hollywood à Kanab. Sur place, ils trouveraient calme, hébergement, piscine et naturellement les décors ad hoc pour les paysages sauvages. Le Parry Lodge deviendrait ainsi le pied à terre des équipes de tournage.

J'ai le sentiment que la ressemblance s’arrête là. Quand John Ford réalisait ses chefs d’œuvres à Monument Valley, ce sont souvent des tâcherons sans génie qui venaient tourner des séries B à Kanab. Telle est du moins mon impression en contemplant la liste interminable des films réalisés ici, où les classiques ne sont pas absents mais assez rares. L’art irremplaçable du grand cinéaste versus l’industrie ronronnante des seconds couteaux sans lendemain… Je me souviens des secondes parties de soirée de La dernière séance, la fameuse émission disparue d’Eddy Mitchell, avec ses films parfois sympathiques mais bien justement oubliés.

Seuls quelques noms de vedettes donnés aux habitations nous parlent encore : Tyrone Power, Frank Sinatra, et même un certain Ronald Reagan, qui ne devait certes pas espérer accéder à la notoriété par ses seuls talents d’acteur.

Nous testons la piscine. Malgré le grand soleil, l’eau est un peu fraîche, histoire de nous rappeler que la ville est en altitude. 1500 mètres tout de même, c’est un demi-kilomètre plus haut que le centre-ville de Chamonix ! Nous comprenons l’écriteau dressé à l’entrée de Kanab : capitale américaine des sports de neige. Et nous n’étions qu’au début de nos découvertes…