mardi 20 septembre 2011

Big Sur

La route au long du Pacifique nous déconcerte. Nous traversons un paysage hétéroclite entre conifères et plantes grasses, horizons océaniques et crêtes escarpées, tantôt Provence, tantôt Jura. L’épais brouillard venu du large engloutit les portions basses du chemin et nous plonge dans une grisaille subite, anéantie par le plein soleil californien à la moindre ascension. Pris individuellement, chacun de traits de ce paysage nous est coutumier. Océans et côtes rocheuses, brumes, falaises et palmiers ne sont pas pour nous des motifs de découverte. Mais leur assemblage nous sidère, comme le ferait l'audacieux ouvrage d'un jardinier extravagant.

A midi nous stoppons dans un hameau au bord de la route. De là, si l'on en croit les indications placardées partout, il est possible d’observer les baleines. Nous avons beau plisser les yeux, aucun rorqual n’apparaît à l’horizon. A défaut de cétacés, nous voyons poindre un groupe d’individus soufflant sous l’effort, visiblement à la traîne d’un grand mâle marqué par l’âge. C’est une équipe cycliste caressant l’ambitieux projet de lier Monterey à Morro Bay, comme l’annonce fièrement leur maillot flambant neuf. Les athlètes empruntent la même Highway 1 qui nous a tant étonnés, avec ses courbes, ses montées ardues et descentes au cœur de nappes de brouillard. Il en faut, du courage et de la santé, pour un tel itinéraire… Après tout, Greg LeMond et Lance Armstrong sont des compatriotes.

Voir de vrais sportifs sous le joug de l’effort nous rappelle, par sincère empathie, qu’il est l’heure de déjeuner. Nous trouvons là un petit resto, avec décor de bois, réclames anciennes et pancartes vantant l’observation des baleines. L'endroit ne tient pas ses promesses. Nous sommes accueillis avec indifférence, les tables sont sales, le choix très limité et le service nerveux. Comme quoi la vie urbaine n’a pas le privilège du stress. J’avale avec humeur un steak pour une fois de mauvaise qualité. Visiteurs de passage, méfiez-vous des restaurants séduisants pour voyageurs écolos. On peut militer pour les baleines et maltraiter les convives.

La prochaine étape est une aimable promenade vers une ancienne demeure grande ouverte sur l’horizon. On imagine quelle opiniâtreté il fallut aux locataires, au début du XXe siècle, pour venir s’installer dans ce recoin grandiose et inhospitalier. Mais le principal attrait du Julia Pfeiffer Burns State Park est la fameuse cascade qui arrose du haut de ses 25 mètres une plage réputée inaccessible. Les nombreuses inscriptions imbéciles laissées sur le sable prouvent cependant que tout individu un peu borné peut aller y gribouiller ce que bon lui semble, faisant l'étalage de sa maîtrise du langage SMS en même temps que de sa propre misère intellectuelle.

Nous avons dû, pour nous garer à proximité, glisser un billet dans une urne même en l’absence du moindre ranger à l’horizon. C’est la première fois de ma vie que je voyais un parcmètre en bois brut. Le reçu du stationnement, simplement arraché au talon d’une souche de tickets, atteste mon payement. Heureuse idée de l’emporter car il offre l’accès gratuit au parc d’état Pfeiffer Big Sur.

« Big Sur » était pour moi le titre d’un roman de Jack Kerouac longtemps avant de désigner le vaste parc naturel dont les falaises tombent à pic dans les déferlantes. Nous flânons dans la nature en tâchant d’identifier les séquoias. Comme nous avons renoncé à Yosemite, voilà l’occasion d’admirer enfin ces arbres géants.

C’est avec le sentiment d’un bilan en demi-teintes que nous quittons la côte. Après la plage aux éléphants, rien de ce que nous avons vu à Big Sur et au long de la California State Route 1 ne nous a bouleversé. Le mélange des genres si étourdissant aurait dû nous séduire au plus haut point. Pourtant, ce n'est pas le cas. Malgré la révélation de paysages héroïques, nous constatons avec désappointement que le coup de foudre n'a pas eu lieu. Big Sur a tout pour lui, sauf ce je-ne-sais-quoi essentiel qui nous le ferait aimer sans réserve. Est-ce le climat trop déconcertant ? L’accueil désagréable à l’étape des baleines ? La route parfois pénible entre les étapes ? Allez savoir. Il y a des jours où Cupidon s’en fout…

Nous ressentirons curieusement la même chose avec la ville de San Francisco. Pour l’heure, nous entrons dans Monterey.

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