samedi 30 novembre 2013

11. Lake Powell

Centrale au charbon navajo

Quand on me demande comment se sont passées les vacances aux Etats-unis, j'annonce tout de go que le plus grand motif de fierté est d'avoir pu respecter à la lettre, jour après jour, l'exigeant programme que nous nous étions fixés. Mais aussitôt je me renfrogne. Un amer souvenir me taraude. Tout a parfaitement fonctionné, à une seule exception : la location au bord du Lac Powell.

Tout s'annonçait pourtant bien, après une fastidieuse journée de conduite. Voici la ville de Page, signalée de loin par trois gigantesques cheminées crachant dans l'atmosphère d'épaisses volutes. C'est une centrale au charbon, l'une des usines les plus polluantes des Etats-unis. Curieusement, elle appartient aux Navajos, peuple que notre imaginaire associe spontanément à la protection de la nature et aux énergies douces. Mais le principe de réalité a des raisons que la raison ignore. Les Navajos roulent en 4x4 comme tout un chacun et leur centrale thermique zèbre de trois filets crasseux l'image éthérée d'un peuple épris de panthéisme.

Vue depuis la Wahweap Marina
Page a été fondée pour héberger les ouvriers d'un barrage sur le fleuve Colorado, dans les années 1960. La retenue devait emplir un canyon si vaste qu'il fallut pas moins de dix-huit années pour que le lac artificiel prenne sa forme définitive. Le résultat fut féerique. Cette vaste réserve aquatique au beau milieu du désert devait engendrer plages enchanteresses et paysages de légende. La végétation réapparut et les poissons proliférèrent. La rive incroyablement dentelée dessina finalement plus de 3000 kilomètres de côte - davantage que toute la façade du Pacifique.

Nous nous acquittons du droit d'entrée au parc national et rejoignons le guichet du Wahweap Marina. C'est dans ce complexe hôtelier, typiquement touristique mais sans équivalent pour son emplacement, que j'ai déniché il y a bien des mois l'offre exceptionnelle d'un bungalow tout de bois baigné par le flot placide du lac.

C'est du moins ce que je croyais. L'employée de l'hôtel examine ma réservation d'un air dubitatif et nous annonce sur un ton neutre que l'endroit est à cinq heures de route.

Nous restons bouche bée devant cette révélation. Devant notre inertie, le manager est appelé à la rescousse.
Sur une plage
Il confirme la chose : l'hôtel possède plusieurs emplacements autour du lac, et celui que j'ai dûment réservé se trouve à quelques centaines de miles au nord. Voilà pourquoi il était meilleur marché. Mais n'avions-nous pas reçu la carte de l'endroit avec la réservation ?

Dans mon for intérieur je me souviens en effet avoir reçu une carte dans ma boîte mail, et l'avoir aussitôt bazardée selon le principe que le GPS n'était pas fait pour les chiens. Le manager demande justement comment nous avons atterri ici. Était-ce à cause du GPS ? Je suis heureux de répondre par l'affirmative. Car c'était parfaitement exact : j'ai bien suivi le GPS. Mais après l'avoir mal programmé, précision que je considère superflu de partager à ce moment précis. Notre interlocuteur hausse les épaules en regrettant que ces appareils soient si peu fiables, s'empare de ma réservation et disparaît dans son bureau. Deux minutes plus tard il revient avec une bonne nouvelle : un appartement sur le bord du lac était justement disponible, pour la durée de notre séjour. Et pour se faire pardonner de ne pas nous avoir envoyé de carte, il nous offre la différence de prix.

Nous n'en revenons pas de la facilité avec laquelle la situation a été redressée. Le gérant a résolu l'affaire en un tournemain, sans râlerie et avec un sens pratique qui nous ravit. Le sens du commerce, dans ce pays, n'est pas un vain mot.

Nous prenons possession de l'appartement. Sa terrasse ouvre une vue admirable sur le lac. A la tombée du jour, nous contemplons même un coucher de soleil d'anthologie, de quoi faire largement oublier une pénible journée.