jeudi 1 septembre 2011

Toc et légende

La ville de Kanab pose une incessante question au visiteur de passage. Sommes-nous dans un décor complaisant ou dans la réalité ? Est-là un miroir aux alouettes destiné à éblouir le gogo, ou une authentique cité de l’Ouest ?

La ville est un décor. L’imposante boutique de souvenirs flanquée d’un grizzli en bois massif et d’un indien statufié plus toc que nature ne laisse pas de place au doute. L’endroit est abondamment desservi par des autocars de touristes venus faire le plein de babioles pseudo-navajo ou incontestablement westerns made in China. Au beau milieu des rayonnages, on entend dans le français le plus courant des exclamations sur le prix bon marché des Levi Strauss. Chaque trottoir est muni d’un cadre de bois semblable à ceux qu’utilisaient les cow-boys pour attacher leurs montures avant de se rendre au saloon. Partout, de petits écriteaux racontent la vie d’un acteur venu jadis jouer dans quelque movie périssable. Un peu plus loin, nous visitons un véritable décor de cinéma. Nous sommes dans le faux érigé au rang du réel. L’une des tables exposées a appartenu, dit-on, à Buffalo Bill. L’inventeur du western, cette chanson de geste d’une histoire fantasmée, était aussi un homme d’action, vengeur de Custer et massacreur de bisons. Légende et histoire deviennent à ce point inextricables.

La ville est authentiquement américaine. Ces vieux messieurs qui se baladent stetson sur la tête ne jouent pas un rôle. J’entre dans la boutique de photos pour nettoyer mon capteur. Le propriétaire est un old timer au visage marqué par le soleil de l’Utah. Sa large moustache et son chapeau à bords relevés rappellent les plus belles gueules photographiées par Robert Clark dans son exploration de l’Amérique profonde. Sans fioritures il m’annonce son aversion pour l’univers de la photo numérique avant de me vendre comme à regret un kit de nettoyage. Sa boutique est remplie de matériels hétéroclites, objectifs de l’autre millénaire, trépieds, guitares, poupées et partitions musicales. A Alexandra en arrêt devant une statue grandeur nature du Coyote de Road Runner (Bip Bip), il déclare : « C’est mon personnage favori. Malgré tout ce qu’il vit il essaye encore et encore. He never gives up. » Par la façon dont il énonce ces mots, je devine qu’il s’agit là d’une véritable profession de foi. Il répète : « Never give up. » S’accrocher coûte que coûte à cette petite ville entourée par la nature, inondée de soleil l’été et l’hiver isolée par la neige. Refuser le monde froid du digital. Ne pas céder aux simagrées du monde moderne. Regarder les autocars de visiteurs comme de simples événements épidermiques qui n’altèreront jamais l’âme de la cité. Un parfum d’éternité émane de cette boutique ancrée dans l’histoire.

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