dimanche 29 septembre 2013

8. Pierres et vacances

Double Arch


"C'est incroyable qu'il y ait tant d'arches dans le parc précisément appelé Arches", s'extasie une touriste à quelques mètres de nous. Ce mot désarmant me rappelle l'admiration d'un de mes amis devant le fait que l'eau bout exactement à 100 degrés, preuve ontologique à l'en croire de l'existence de Dieu.

Après l'épreuve inattendue de Delicate Arch, les autres randonnées dans le parc nous paraissent d'une facilité déconcertante. Le seul danger reste la morsure du soleil - si l'on fait exception des grappes de voyageurs. Sitôt débarqués de leur autocar, ces personnes sans doute charmantes individuellement mais insupportables en groupe se défoulent en piétinant avec une sonore allégresse les grands espaces. Nous en trouvons une belle brochette à Sand Dune Arch où certaines d'entre elles s'emploient à gâcher l'endroit par des jeux de plage bruyants et bébêtes que je pensais réservés aux littoraux fatigués de notre contrée.

Un "caterpillar"
Cette courte promenade, relativement ombragée par des gros rochers, est envahie de chenilles, sans doute la dernière bestiole qu'on s'attendrait à trouver dans ce "pierres et vacances" aride.

A l'ombre de la Pine Tree Arch

Une arche en sursis : la Lanscape Arch


Le chemin de Pine Tree Arch est moins facile d'accès et de ce fait plus accueillant pour les amateurs de nature. L'on peut même souffler à l'ombre bienvenue de l'arche. Cela est rare : beaucoup de ces formations sont en hauteur, difficiles voire interdites d'accès. C'est le cas pour la Landscape Arch dont la structure s'était en partie effondrée en présence de visiteurs, heureusement sans faire de victimes. La voûte est maintenant fragile et on s'attend à la voir s'écrouler pour de bon. Aussi a-t-on jugé bon d'en protéger l'accès par des barricades. Tout en enviant le touriste qui a eu la chance d'immortaliser la première catastrophe, je tiens mon Pentax fermement à l’affût de l'événement fatal. Mais quand nous repartons le bel arc de roche est toujours aussi vaillant, aussi précaire soit-il. Paris-Match attendra.


Parade of Elephants


Sur le sentier de Double Arch nous contemplons deux curiosités de taille. La première est la silhouette en trois dimensions d'un éléphant massif, avec toutes ses caractéristiques, sa bosse sur le crâne, sa trompe dressée vers le ciel et même l'emplacement des yeux.

La deuxième n'est pas documentée dans nos guides. Avec un pincement au cœur, je reconnais pourtant le PacMan, ou plus exactement son fossile de roc, en bordure du sentier. Son œil vif s'est éteint, et sa gueule mangeuse de fantôme reste crispée dans un dernier effort. Est-ce ainsi que périssent les héros de notre enfance ?

RIP PacMan



A deux pas de Moab coule le Colorado. Les Américains disent "river", mais c'est un faux-ami : le Colorado est bel et bien un fleuve. Je m'attendais à trouver le flot impérieux d'un court d'eau au nom si mythique. Pourtant non, le Colorado n'est pas très large. A cet endroit son lit est bordé par une falaise à pic ; du côté de la route, le sol forme une pente douce jusqu'à l'eau. J'identifie un endroit où le fleuve décrit une courbe et pense trouver à cet endroit une plage, comme on me l'avait enseigné à l'école. L'instruction publique disait vrai. Après cinq minutes de marches entre buissons sec et gravillons nous plongeons nos pieds dans le Colorado. Son opacité et la force avec laquelle il bouscule ses obstacles nous font deviner sa puissance. Gare à l'inconscient qui voudrait s'y baigner !

Après Moab nous nous rendrons à Page, au nord de l'Arizona, mais avant cela une étape est prévue à Bluff - où l'on ne saurait malgré son nom trouver une table de poker : une seule épicerie et trois restaurants isolés ne suffiraient certes pas à retenir les amateurs.


dimanche 22 septembre 2013

7. Arches



Delicate Arch


Mesa Arch, la première arche de notre voyage, se trouve bien dans à Canyonlands. Mais c'est dans le parc Arches proprement dit, assez proche du précédent, que l'on verra le plus de formations géologiques de ce type. Nous nous organisons pour arriver en fin d'après-midi. En effet, la célèbre Delicate Arch mérite d'être contemplée au couchant. On en trouve la figure dans tous les guides de voyage, et même sur les plaques minéralogiques de l'Utah. Curieux pays, décidément, qui utilise les immatriculations comme placards touristiques...

Organisés, donc, pour arriver au point P à l'heure H, c'est ce que nous pensions. Le parking est plein et j'ai bien de la chance de trouver un recoin pour faufiler l'Infiniti entre deux gigantesques camping-cars - si l'on peut les appeler ainsi, car ce sont plutôt des appartements roulants, avec salon, salle de bain et cuisine dernier cri.

Équipés comme il se doit - chaussures de marche, couvre-chefs, poche à eau dans le sac à dos - nous marchons bon train vers notre destination. Nous avions noté sur notre journal de préparatifs : "courte marche. 20 minutes".


La première partie du trajet - encore facile


Erreur de recopie ou mauvais conseil ? Au bout de vingt bonnes minutes, toujours pas d'arche. Nous suivons un chemin rocailleux qui monte et qui descend. Après chaque côte nous pensons trouver enfin l'arche à portée de vue ; mais ce sont encore d'autres montées et descentes qui s'annoncent. Loin, très loin devant nous, je vois d'autres randonneurs se presser sur le dos d'un rocher plat qui les emmène par-delà la ligne d'horizon. Je me demande bien ce que ces gens cherchent là-bas, puisque l'arche tant convoitée doit être à proximité ?

Notre enthousiasme froidit encore quand l'interminable chemin de caillasses rejoint ce fameux rocher plat. Et à notre tour nous ahanons sur l'échine pentue du roc, non sans jeter un regard rétrospectif et un peu amer sur la cohorte de promeneurs que nous distinguons loin derrière, pleins d'espoir sur le sentier rocailleux. Mais au bout se trouve certainement la récompense l'arche délicate, pensions-nous.

A l'assaut du rocher plat

A tort. Le chemin s'est maintenant rétréci et forme une corniche au long d'une falaise. Il faut non seulement éviter la chute mais se protéger par-dessus le marché des autres touristes qui font des moulinets avec leur trépied. Dans un souci d'immortaliser le crépuscule, j'ai forcé le pas pour prendre un peu d'avance sur les filles. Mais au vu de l'allure que prend la "courte randonnée" je décide de les attendre ; à ma grande surprise elles ne sont que quelques pas derrière moi. Alexandra, aussi naturelle que si elle allait à la boulangerie du coin, commente allègrement la situation. Sa fraîcheur contraste avec la mine harassée et impatiente des adultes. Vieillir, oh, vieillir...

La ballade touche à sa fin. Cet endroit si sauvage paraît pensé pour le spectacle. Un amphithéâtre de roche permet à chacun de s'asseoir pour admirer Delicate Arch tout en reprenant des forces. Le soleil est sur le point de disparaître mais le ciel est trop nuageux pour créer l'illumination espérée. Je me rabats sur les feux du couchant qui peinent à traverser l'éther.

Couchant


Mais l'arche est bien là, triomphale du haut de ses vingt bons mètres. Délicate, elle ne l'est pas vraiment. Cette nouvelle manifestation des puissances terrestres impose plutôt le respect. En dépit de cela il paraît qu'autrefois les gens du lieu l’appelaient "culotte de vieille fille", expression irrévérencieuse mais bien trouvée, il faut le dire.

Amphithéâtre de roche et Delicate Arch

Le chemin du retour, comme à l'accoutumée, est plus facile que l'aller. C'est que nous connaissons maintenant ces corniches, ces plats rochers et les ondulations du sentier rocailleux. Nous remarquons, loin dans le no mans's land, un touriste égaré. Il a voulu devancer son groupe et se trouve maintenant tout seul en pleine nature. Son guide, exaspéré, lui vocifère de rejoindre la meute, mais le quidam reste placidement là-bas, le nez dans les étoiles, sous l'emprise d'une contemplation muette. L'accompagnateur maugrée quelques mots dénués de tout politiquement correct et s'en file par des chemins de traverse récupérer la brebis égarée. Nous ne savons pas ce qu'ils sont devenus.

La nuit est tombée, une vraie nuit du désert plongé dans des ténèbres de sortilège. Nous nous mêlons à des groupes de Japonais qui sont équipés de lampes frontales : gadget salutaire en l'occurrence pour éviter les faux pas.

Les gigantesques appartements roulants sont partis et nous retrouvons la cellule douillette de l'Infiniti, isolée sur l'aire de parking. Là, nous nous remettons de la plus mémorable marche de notre séjour ; et songeons que la beauté naît aussi de l'imprévu.


mercredi 18 septembre 2013

6. Canyonlands


Nul n'est censé ignorer la loi de la gravitation. 

A quelques pas de notre sentier bée l’abîme de tous les vertiges. Une barrière, pour quoi faire ? Sautez donc, si cela vous chante ! Et ne venez pas vous plaindre si après avoir joué au mariole l'on vous récupère quelques centaines de mètres en contrebas éparpillé façon puzzle.

Upheaval Dome
A Canyonlands nous constatons une nouvelle fois combien l'individu est respecté. Le promeneur, considéré à juste titre comme un être doué de raison, est mis devant les conséquences de ses actes, fussent-ils de vouloir vérifier in vivo que la force d'attraction est bien fonction inverse du carré de la distance.

Your safety is your responsability, dit la pancarte.

On ne saurait l'oublier. Nous côtoyons vides abyssaux sans le moindre garde-fou. Chacun prend soin de soi, regarde où il met les pieds et évite de jouer au héros. Nous contemplons ainsi depuis les hauteurs le Upheaval Dome, structure naturelle faisant penser à un volcan surgi au beau milieu d'un lac de terre rouge.

Mais ce n'est certainement pas un volcan. La première théorie, placide, explique que cette structure s'est formée au fil du temps par le jeu de roches souterraines repoussant vers le haut des gisements de sel. La seconde, de type catastrophique, milite pour la chute d'une météorite. Le dôme en forme de cratère serait la séquelle du gigantesque impact.

Je retrouve ici la sensation inouïe qui m'avait étreint lors de la contemplation du Grand Canyon. Celle de voir une mer vidée de son eau. Un tel univers est impossible à embrasser d'un simple regard. Gouffres, pitons, combles et éboulis posent la mesure de la plus inouïe des rhapsodies en ocre.

La Mesa Arch est la première formation géologique de ce type que nous rencontrons.

Mesa Arch

Un boyau de roche pris d'on ne sait quelle convulsion jaillit d'un massif pour joindre la terre ferme quelques mètres plus loin ; l'échancrure ainsi formée dessine à travers l'éther une fenêtre sur un nouveau monde enchanté.




Vue depuis l'intérieur de Mesa Arch


Green River
La verte rivière de Green River se dérobe à nos regards. Elle est pourtant là, tapie dans les replis sédimentaires, secrètement protégée de la terrible chaleur de l'astre. Nous savons qu'elle ira nourrir de ses eaux émeraude le flot irrépressible du Colorado.

Grand View Overlook a toute la semblance du rêve d'un démon. La contemplation de ces déchirures effraye l'âme autant qu'elle l'attire ; nous mesurons notre insignifiance de pauvres bipèdes à l'aune de ces tableaux gigantesques pensés par un génie ou un fou.

Grand View Overlook


Le White Rim Overlook se mérite. Le trajet d'une heure - aller simple - à travers rochers lisses et xérophytes acérés mène aux confins du monde. Là, à l'abris sous un roc tout de guingois, nous méditons devant l'empreinte improbable d'une patte démesurée aux trois longs doigts.


White Rim

White Rim Overlook

White Rim Overlook

Je m'interroge sur la foi sincère qui imprègne ce pays. Est-on plus enclin à croire lorsque l'on côtoie de telles merveilles ? Comment ne pas être davantage conforté dans sa conviction en un au-delà quand l'on est le propre témoin de l'indicible ? Je me demande si la foi mormonne aurait pu se développer à ce point sans ces paysages dans lesquels il est si facile de voir la trace d'une puissance surnaturelle.


Un visiteur silencieux

Island in the Sky

Faute d'être un Terrence Mallick en pantalons courts et couvre-chef Décathlon, je dois renoncer à illustrer mon sentiment par la magie de l'image ; ces pauvres photos témoignent de mes vains efforts pour rapporter la fugitive impression d'un monde aride et géométrique qu'une une vie entière ne suffirait pas à explorer.


Dirty Red Art



lundi 16 septembre 2013

5. Moab

R & R Frontier Village, entre St George et Moab

Exaltés et pour tout dire un peu surpris d'être revenus sains et saufs de notre première vraie randonnée, nous reprenons aussitôt la route vers Moab, idéalement située près de deux célèbres parcs naturels, Canyonlands et Arches. Cette étape au départ de Saint George s'annonce comme étant la plus longue de notre séjour. Près de six heures de route nous attendent. Nous aurons la consolation de pouvoir nous installer à destination pendant quatre journées entières, sans bagages à faire et à défaire ni nouveau trajet de longue haleine.

A mi-chemin, je remarque en contrebas de la route une large baraque au toit vert. Un restaurant ? En effet. Le R & R Frontier Village accueille les convives par une statue rodéo très évocatrice qui fait songer à une attraction touristique. Pourtant non, c'est un authentique restaurant fréquenté par les gens du coin. Nous sommes bien tombés. La nourriture y est excellente et je me promets de laisser une appréciation très convenable dans Google Maps, même si nous lirons sur ce site d’autres commentaires plus mitigés. La qualité de la cuisine est peut-être inégale ? Mais ce jour-là nous y dégustons une viande de première classe, rapidement servis avec le sourire et sans se faire assommer par l'addition.

En début de soirée voici enfin Moab. Le voyage a été fatiguant, mais pas plus qu'une journée de bureau à rester assis derrière un écran, à envoyer des courriels à des gens singulièrement obtus et à recevoir des appels d'autres gens qui vous trouvent étrangement borné.

Le nom bizarre de cette ville est peut-être influencé par la Bible, ce qui se comprendrait dans cet état si pieu. Mais l'hypothèse devient étrange si l'on souvient que le Royaume de Moab était, selon les Écritures, voué à l’idolâtrie et aux pratiques incestueuses ! A mille lieu des habitudes vertueuses de nos candides amis mormons. Une origine peut-être plus sérieuse prétend qu'un mot indien, "moapa", désignant les moustiques, a été donné au lieu. Quelle que soit la vérité, on retiendra que ce nom revendique deux filiations que l'on ne saurait imaginer plus opposées entre elles.


Moab by night

J'ai choisi le Bowen Motel pour sa proximité avec le centre ville. Au moins je ne serai pas obligé de conduire le soir. Redevenu simple piéton je pourrai même goûter à la bière locale. Notre chambre est au rez de chaussée, un détail appréciable puisque nous nous parquerons juste devant notre porte pour nous occuper des bagages.

Du Coca pour ceux qui en voudraient

La tranquillité de Saint George est bien derrière nous. Tous les motels affichent "no vacancy" et les touristes sont nombreux. Nous le saurions bien assez vite, ceux qui traînent des enfants sont des Français tout comme nous ; les Italiens viennent plutôt en couple, et les Asiatiques se déplacent par groupes entiers.

L'endroit ne devient pas oppressant pour autant. Les trottoirs sont larges, il y a de l'espace, la vue vers le ciel est dégagée. Les rues adjacentes, calmes et pittoresques, reposent des boutiques de bibelots. Moab reste une vraie ville américaine.

Les restaurants sont nombreux. Sur la foi de notre guide, nous testons le Moab Dinner. "Ouvert tous les jours", annonce fièrement le Guide du Routard, que je ne sais par quel masochisme nous avons emporté avec nous. Oui, en effet, "tous les jours"... sauf le dimanche. Et c'est justement dimanche. Faute d'outils pour enterrer l'encombrant Routard, comme Michel Houellebecq dans Plateforme, nous ravalons notre déception et choisissons au jugé le Pasta Jay's qui a tout de l'attrape-touristes. Impression hélas confirmée par les faits, nourriture ni bonne ni mauvaise, salle bruyante et service désordonné. Mais au moins les fleurs de la terrasse attirent des colibris. Ces "oiseaux bourdonnants" comme on les appelle ici (hummingbirds) viennent butiner du nectar sous nos yeux.
Hummingbird

Nous faisons la meilleure expérience gastronomique de tout notre séjour - selon moi - au Eddie McStiff's Restaurant qui sert une authentique cuisine de l'Ouest, robuste et savoureuse. Encore aujourd'hui mes papilles frétillent de joie à l'évocation d'un T-bone steak d'anthologie.

En semaine nous aurons l'occasion de revenir au Moab Dinner  Cet établissement typique sait jouer sur la corde sensible : banquettes de skin et comptoir en alu, serveuses alertes en tabliers rayés et morceaux de Cadillac aux murs. Evidemment, tous les Français s'y retrouvent sous l’œil langoureux d'Elvis Presley. Nous y prenons un solide breakfast - il nous faut bien cela pour nous préparer à de longues randonnées.





Moonlight sur la Pancake Haus







samedi 14 septembre 2013

4. Snow Canyon

Jenny's Canyon

C'est à Snow Canyon, à quelques minutes en auto de Saint George, que nous ferons nos premières randonnées. L'endroit est un parc. Le terme prête à confusion : à côté, le Parc Monceau a tout du jardin d'enfants ; ce n'est pas davantage un parc de loisirs aux attractions tonitruantes. Bien au contraire, il s'agit là d'un spacieux territoire à la nature jalousement protégée.

Son entrée est signalée par une guérite. Nous y stoppons pour nous acquitter du droit d'entrée, mais la cabane est vide. Nul ranger à l'horizon. Peu importe, les instructions sont claires : en l'absence du garde, marquer date et immatriculation sur une enveloppe, y glisser six dollars, l'enveloppe va dans l'urne prévue à cet effet et go ! La voie est libre.

Comme on le voit, rien n'oblige réellement à payer. Nous aurons plusieurs occasions de voir ce système fondé sur la confiance ; et l'on ne peut s'empêcher de se demander pourquoi ce qui fonctionne si bien ici poserait tant de problèmes en France.


Début du sentier

Dans le parc, plusieurs chemins de randonnée s'offrent aux visiteurs. Chacun porte sa fiche signalétique, avec son appellation, sa difficulté et d'éventuelles mises en garde. Pour étrenner notre expérience, nous nous arrêtons à Jenny's Canyon. "Promenade facile", avions-nous noté. C'est vrai. Le terrain est plat, balisé, agréable. Nous voici déambulant dans une immensité débarrassée de nos encombrants semblables, renouant avec la nature sans bornes devant laquelle l'homme a su s'effacer avec tant d'intelligence. La chaleur est vive mais pas insupportable, du moins pour une marche assez brève. Le sentier rocailleux mais praticable mène à une faille dans la roche - le canyon de Jenny proprement dit - dans laquelle on peut encore marcher quelque temps, jusqu'à ce que les parois se rejoignent.

La merveilleuse impression laissée par ce baptême - même si, à la déception d'Alexandra, nous n'avons croisé ni scorpion ni serpent à sonnettes - nous rassure. Dès le lendemain, nous nous attaquons à plus exigeant. Nous quittons donc assez tôt l'Ambassador Inn, notre hôtel propret et honnête d'une nuit, pour rejoindre Snow Canyon.

Lava Flow Overlook


Notre choix s'est porté cette fois-ci sur le Lava Flow Overlook, randonnée plus ardue parmi des massifs de lave. Bizarrement, certains se prolongent sous terre en ayant façonné de véritables galeries qu'il est possible d'explorer. Mais pas question de s'y engager : l'endroit relève plus de la spéléologie qu'autre chose ! Il faut être équipé en conséquence, avec lampes frontales et outils, et surtout ne pas se blesser car nul ne viendrait à votre secours... Le portable ne passe évidemment pas à travers le sol. Nous restons donc en surface. Même là, la progression devient exigeante, entre roches acérées et dénivelés. Mais quel spectacle ! A notre droite défile une montagne imposante traversée de haut en bas par une faille gigantesque ; loin devant nous des strates de couleurs courent le long d'un massif grandiose. Nous devons nous faire à l'idée que nous parcourons en personne ces paysages de westerns tant de fois admirés depuis notre enfance. Et quelle sérénité souveraine dans ce lieu oublié par les touristes...


Entrée d'un tunnel de lave


Sur le Lava Flow Overlook


Cette fois-ci j'ai placé dans mon sac à dos une poche d'eau pour supporter la déshydratation. Je me sens un peu ridicule de suçoter dans un tuyau pour m'abreuver en cheminant ; mais quelle importance ? Il n'y a personne et, de toute façon, comme nous nous en rendrions compte assez rapidement, dans ce pays le mot "ridicule" n'a pas cours. N'est-ce pas aussi cela, la liberté ?

Le long du sentier




mercredi 11 septembre 2013

3. Vers Saint George, Utah

Sur la route vers Moab
La route vers St George dans l'Utah n'a pas de charme particulier, hormis celui, inestimable, de renouer avec les joies de la conduite en Amérique, placide, efficace, et si accessible pour nous, Européens compliqués ; vitesses automatiques, régulateur, siège confortable et large vue sur un horizon libre de toute embûche. Après des mois d'énervement dans la région parisienne, avec de braves automobilistes qui vous agonissent d'injures si vous roulez bêtement à 50 quand le panneau indique "50", et que vous avez de surcroît l'impertinence de ralentir à proximité des écoles, quelle joie de retrouver une route où l'agressivité n'est pas de mise. Je ne dis pas que là-bas les limitations de vitesse sont respectées, mais au moins celui qui veut filer droit vous dépasse sans chichis et file vivre sa vie de Fangio.



Vitesse et tranquillité 



La signalétique est claire et pragmatique. Le code de la route concourt à rendre la conduite agréable : au feu rouge, on peut tout de même tourner à droite s'il n'y a personne, après avoir observé un temps d'arrêt. Pas de rond-point : aux intersections, chacun a un panneau "stop". Les voitures passent à tour de rôle dans leur ordre d'arrivée. Je me suis laissé dire que les carrefours giratoires, en France, sont facturés au bas mot 100.000 euros, sachant que la note peut monter jusqu'au million. Si de telles sommes sont exactes, il y aurait là matière à soulager le contribuable en prenant les Etats-unis en exemple - un croisement, quatre panneaux - à condition que les autorités prennent la mesure de leur mission, en l'occurrence faire respecter la réglementation routière.

A ce niveau de la discussion, il arrive toujours qu'une bonne âme vante les mérites de l'âme latine, rebelle à toute contrainte. La belle affaire ! On aurait donc le droit de maltraiter son prochain en se comportant comme un fieffé malappris au nom d'une prétendue culture latine ? Bien commode excuse pour ne pas affronter le réel : le problème est avant tout politique. Courage et opiniâtreté sont indispensables pour changer les choses - mais n'est-ce pas la moindre de choses que l'on attend d'un élu ?

Les policiers américains sont réputés pour leur intransigeance. Je n'ai pas eu l'expérience de me faire arrêter, mais j'avais les consignes en tête : s'arrêter sur le côté, baisser la vitre, poser les deux mains sur le volant. Et sourire. Ce pays ne rigole pas avec les conducteurs du dimanche. Sur la route, des panneaux rappellent que jeter un papier par la fenêtre - "no littering" - vous coûtera mille dollars. Dans les zones de travaux, l'amende pour excès de vitesse, déjà salée, sera simplement doublée. Dissuasif.


Paquetage du missionnaire en herbe

Saint George dans l'Utah, c'est déjà les Mormons. Dans la boutique "Deseret Book", près du supermarché KMart, je retrouve ce qui m'avait tant interloqué il y a deux ans. Les livres bibliques, les guides pour devenir missionnaires (ces jeunes hommes en chemise blanche en propres sur eux qu'il nous arrive de croiser dans notre contrée de mécréants), un kit du parfait petit mormon, avec mini bible et friandises chocolatées. Je feuillette un livre intitulé "Sept miracles qui sauvèrent l'Amérique". Il se termine par l'assassinat raté de Donald Reagan. Je trouve un jeu d'échec où blancs et noirs deviennent "Nephites contre Lamanites", selon la mythologie locale. Sans être le moins du monde concerné par les croyances diverses, je reste étonné devant la tranquille candeur avec laquelle tout ce matériel de propagande est mis en exergue. Il ne manque que Ned Flanders et ses insupportables "salut-sali-salou, voisinou !"





Le soir, nous visitons les alentours d'un temple aux façades blanches striées par le vol alerte de pipistrelles. Ce vaste édifice de la Church of Jesus Christ of Latter-day Saints (ou LDS Church, Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours) n'était pas ouvert au public. Nous aurions pu y retrouver un canon français qui servit à Moscou du temps de Napoléon, arrivé ici après de longues pérégrinations.

Temple de Saint George, Utah

Mais ce ne sont pas les affaires religieuses qui nous ont attiré à Saint George. La région est riche en ressources touristiques, bien que les visiteurs rechignent à s'y arrêter. Nous ferons ici nos premières randonnées mémorables, seuls dans l'immensité.

"Je sais que les Écritures disent vrai" - "Je veux devenir un missionnaire maintenant"

lundi 9 septembre 2013

2. Chère voiture !

Pour cette première location, j'avais choisi depuis la France un 4x4 de base - pas très cher - avec dans l'idée de négocier un upgrade le jour de la prise du véhicule. Le truc a marché, mais trop bien marché. Je me suis laissé embobiner par une commerciale habile qui a réussi à me "vendre" un 4x4 de luxe pour lequel j'ai dû aligner un beau petit pécule non prévu au budget.


Infiniti, poste de conduite


Sa technique fut aussi simple qu'admirable. A ma demande candide de négocier un upgrade, la commerciale de Dollar m'apprend qu'il y aurait une voiture parfaite pour nous, mais qu'elle n'était pas disponible. Pour s'en assurer, elle passe quelques coups de fils qu'elle ponctue d'un air navré. Après chaque appel elle nous déclare combien elle est affligée pour nous. Mais un ultime essai illumine son visage : contre toute attente, le formidable véhicule dont elle nous vante les mérites venait d'être libéré. Elle m'annonce un surplus de prime qui ne me paraît pas exorbitant sur le coup et me fait signer d'emblée les documents nécessaires ; ce n'est que lorsque je vois le total de la facture, pour tous les jours cumulés et après application de la taxe, que je me rends compte du panorama complet. L'affaire n'est décidément pas du tout bon marché. Mais par lassitude et crainte de me dédire, je signe le contrat fatidique.
La prise du 4x4 à Vegas

Bref : ne jamais tenter de négocier avec plus fort que soit, quand on a hâte de partir, que l'on peine à calculer mentalement les taxes et la conversion en euros, que la famille s'impatiente après une longue attente dans le terminal envahi par les touristes et que les brumes du jet lag ne se font pas encore dissipées.

Parking du Caesars Palace


Mais il est vrai que le superbe Infiniti, un 4x4 de luxe à la gueule de squale mafflu, est un véhicule de rêve. Son tableau de bord est truffé d'électronique : un grand écran avec ordinateur de bord sert aussi bien de GPS que d'écran TV pour visualiser les environs immédiats à chaque manœuvre. Un créneau ? Automatiquement, le tableau de bord affiche la voiture vue de haut, comme filmée depuis un puissant satellite, ainsi que les autres véhicules à proximité. L'image nette de tout se qui se trouve derrière l'Infiniti apparaît. Quelle joie de se garer en toute sécurité ! Nous avons exploré le 4x4 comme s'il s'agissait d'un jouet merveilleux. Pour la musique, nous connecterons notre téléphone par Bluetooth. Pas moins de quatre prises de courant 12 V. Et l'ouverture du coffre se commande à distance.

Ce baume au cœur après le coup commercial si douloureux pour mon portefeuille me fait oser un trait d'humour, qui n'a pas le succès mérité auprès des miens : "c'est la première fois que je conduis une voiture avec une caméra dans le derrière".

Caméra embarquée


Le GPS et la musique par Bluethooth


Après vérification, il s'avère que cette voiture si bien adaptée aux routes américaines n'est, contre toute attente, pas un produit local : Infiniti est une filiale de Renault-Nissan.







Ce monstre de puissance - le moteur dépasse les 300 chevaux - nous offrira confort et sécurité pendant dix jours. Une expérience inoubliable ; tout comme son prix, d'ailleurs.

Au soleil du Snow Canyon, Utah