mercredi 17 août 2011

Grand Canyon

Une lointaine réminiscence éblouit mon esprit alors que je contemple pour la première fois le Grand Canyon.

Depuis les hauteurs du Cap Corse qui surplombent la bourgade de Maccinaggio, je distingue, par-delà l'île italienne de Capraia, le bras de mer qui la sépare du continent ; et, encore plus loin vers l'est, la masse utopique des côtes toscanes,confondue avec les nuées vaporeuses de la Tyrrhénienne. Révélation saisissante pour un fils du rivage dont l’horizon maritime était, de toute éternité, borné par la terne et levantine silhouette de Capraia. Pour la première fois peut-être, je mesurais l'immensité d'un panorama dont les limites étaient repoussées au-delà de l'entendement.


Je retrouve cette stupéfaction face aux gorges du Colorado. Je n’aurais pas ressenti autre chose si la mer Méditerranée de mon enfance s’était soudainement asséchée, laissant voir gouffres hadaux aux parois vipérines, cordillères secrètes et failles insondables. D'innombrables lignes brisées zèbrent le canyon de fractales d’où s’élancent quelques audacieux conifères, survolés dans un silence mortel par des buses à queues rousses. Où que l’œil se pose, ce ne sont que haut-fond jaillissant çà et là en curieuses cimes de maintes combes abyssales, fulgurances de rocs aux balafres écorchées vives par on ne sait quelle véhémence originelle.

La distance avec l’autre rive surprend. Le canyon, gardons-le à l’esprit, n’est pas un ravin. J’ai le sentiment qu’on pourrait glisser un pays entier, avec ses villes, ses foules, ses fleuves, ses monts et ses vaux, dans le gouffre qui bée avec une telle démesure.

Le deuxième motif d’étonnement, une fois acceptée l’émotion de cette vision sans précédent, est l’absence de tout homme. Rien, au-delà de la barrière de sécurité contre laquelle se pressent les touristes pour mieux photographier (comme si gagner quelques misérables centimètres allait améliorer un point de vue si opulent dans sa vastitude), ne rappelle l’existence de l’être humain. Pas d’édifice, d'écran géant, de relais télévision ou d’antennes de téléphonie mobile. Nulle pancarte criarde signalant la présence d’un McDonald’s ou d'une station Texaco. Aucune maison, pas de route, pas de cheminée d’usine d’où s’échapperait quelque panache jaunâtre.


Aussi loin que je puisse remonter, je ne parviens pas à me rappeler un panorama terrestre à ce point épargné par l’importune présence de mes semblables. Jamais Forêt Noire, Mont Blanc ou landes de couleurs indéfinies ne m'ont donné un tel plaisir d'irréfutable isolement. Tout ici paraît préservé du bruit et de la musique idiots, des papiers gras et des reliefs de repas inappétissants.


Savoir conserver intacte la magie d’un tel endroit quand d’autres se seraient empressés de le prostituer n’est pas le moindre paradoxe de cette nation. Est-ce donc cela, l’Amérique des profits, égoïste et bouffie de morgue, insoucieuse des répercussions que l’âpreté au gain ferait courir à l’écosystème ? Faut-il réviser le portrait attristé invariablement dressé par les observateurs impartiaux, ne parlant des Etats-Unis qu’avec l’air navré qu’on prend pour évoquer un fils de bonne famille tombé dans la plus honteuse déchéance ?


Parlons argent, justement : l’entrée dans le parc naturel nous a coûté 25 dollars. L’autorisation, valable pour toute la famille, donne l’accès illimité au parc pendant une semaine entière. En raison d’un choix tardif (deux mois à l'avance quand le conseil est de s'y prendre une année avant le séjour), nous n’avons pu choisir ni l’hôtel, ni la chambre. Nous dormirons donc au Yavapai Lodge. Ce choix bien qu'imposé s'avère appréciable, tant la chambre est agréable et l'emplacement idyllique. Le prix de 120 euros ne nous paraît pas exagéré, d'autant plus que parking, bus et navettes sont entièrement gratuits.






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